17°La place de Vitória°

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Río de Janeiro, 14 décembre 2022, 20 h 15

Une fois qu'elles entrèrent dans son bureau, le sexagénaire ferma derrière elles pour plus d'intimité. Puis, il alla s'asseoir sur son fauteuil avant de poursuivre d'un ton ferme :

— Léonor, je t'interdis d'insinuer encore une fois que je ferai intentionnellement du mal à notre fille ?

— Toi peut-être pas, mais cette dévergondée...

— Ça suffit ! Je te prierai de témoigner un minimum de respect à ma fiancée si tu veux que nous puissions cohabiter en paix ! Toi et moi, nous ne ferons semblant d'être un couple que jusqu'à ce que Nanda soit apte à accepter que sa famille n'est plus celle qu'elle connaissait ! En attendant, il faudra bien qu'elle s'habitue à la présence de celle qui deviendra sa belle-mère.

De la bouche d'Humberto, cette réalité lui sembla bien plus tranchante. Certes, en revenant vivre dans cette maison, Léonor n'avait pas envisagé de reconquérir son ex-mari. Elle avait pour seul objectif, le bien-être de sa fille. Néanmoins, la perspective de le savoir aux côtés d'une autre pour le restant de ses jours, lui fit plus mal qu'elle ne l'aurait imaginé. Peut-être était-ce parce que leur union s'était terminée faute de confiance et non d'amour. Ou peut-être était-ce parce que sa remplaçante n'était nulle autre que Vitória Araújo. Cette orpheline prétendument sans défense qu'elle avait autrefois prise sous son aile, qu'elle avait accueillie sous son toit ; mais qui sans la moindre gêne, lui avait arrachée son compagnon tout en demeurant à ses yeux une innocente victime. Satisfaite, cette dernière passa devant Léonor avec un discret sourire narquois. Elle contourna ensuite le bureau d'Humberto pour se tenir derrière lui et déposer ses mains sur ses épaules. Écoeurée, Léonor détourna son regard d'eux et renchérit :

— Tu comptes vraiment épouser une femme qui pourrait être ta fille ? Réveilles toi Humberto ! Cette arriviste n'en veut qu'à ton argent !

Cette remarque ne manqua pas d'agacer Humberto. De par leur différence d'âge non-négligeable et le milieu défavorisé d'où provenait la jeune femme, il était évident pour beaucoup que Vitória Araújo n'en avait qu'après sa fortune. Toutefois, cette dernière ne lui avait jamais fait ressentir qu'elle ne s'intéressait à lui que pour son argent. Pour lui, elle s'était toujours montrée honnête, loyale et travailleuse. C'était pourquoi il n'avait pas hésité à faire d'elle son assistante lorsque sa précédente secrétaire n'en avait plus été capable. Et à mesure que sa relation avec Léonor se détériora, Humberto trouva en Vitória une amie fidèle. Ce ne fut qu'après son divorce qu'ils devinrent amants contrairement aux croyances populaires. Depuis, leur couple n'avait pas fait l'unanimité. Mais maintenant qu'il s'apprêtait à offrir à Vitória toute la dignité qu'elle méritait, Humberto ne comptait pas permettre à Léonor de l'offenser davantage.

— Vitória m'aime bien plus que tu n'en a été capable, affirma t-il fermement. Elle va devenir ma femme peu importe ce que les gens pourraient penser ! Tu n'as pas ton mot à dire à ce sujet ! Tu as perdu le droit de t'immiscer dans ma vie privée lorsque tu as décidé de mettre un terme à notre mariage...

— Tu dis ça comme si c'était de ma faute, s'indigna Léonor.

— Je ne fais que dire la vérité ! cracha Humberto en ouvrant un tiroir.

Le vieil homme en sortit un écrin qu'il ouvrit sous les yeux des deux femmes et posa au milieu de la table. À l'intérieur, se trouvaient les alliances qu'ils avaient jadis échangées devant l'autel. Tandis que Léonor fut touchée de constater qu'il les avait gardées toutes ces années, Vitória en fut dépitée. Humberto de son côté, ne se laissa pas aller aux souvenirs heureux que lui évoquait cette paire d'anneaux lorsqu'il récupéra la sienne et l'enfila. D'un geste de la main, il invita son ex-compagne à en faire de même tout en déclarant froidement :

— Pour Nanda, nous n'avons jamais divorcé. On les portera jusqu'à ce qu'elle puisse l'accepter.

Le cœur en peine, Léonor récupéra son ancienne bague sans rien laisser paraître et la passa à son doigt. Sans se retourner non plus, elle quitta le bureau de son ex-mari et se dirigea prestement vers la cuisine. Elle fut soulagée de ne pas y trouver les employés. Elle put essuyer la larme qui lui échappa sans être vue. Du moins, c'était ce qu'elle pensait, car la femme n'avait pas remarqué la présence de la petite Klara. L'enfant qui avait écouté toute la conversation des adultes derrière la porte, s'était cachée en entendant des bruits de pas. Troublée, elle avait ensuite continué de guetter sa mère. Pour elle, la réaction de cette dernière ne pouvait signifier qu'une chose : sa mère aimait encore son père. Et si ses parents s'aimaient encore, elle comptait bien profiter de la situation de sa sœur pour les réunir à nouveau...

Río de Janeiro, 24 octobre 2016, 23 h 15

« Elle est inconsciente et elle respire encore. Mais son pouls est faible ! » annonça l'un des ambulanciers en manœuvrant pour la sortir du véhicule.

« Sauvez ma fille... » suppliait Léonor en boucle tandis que cette dernière était installée sur une civière.

« Maman, je suis là » gémissait l'enfant qu'elle ne voyait ni n'entendait à côté d'elle.

Ignorant sa présence, l'un des ambulanciers lui passa même au travers, inquiétant davantage l'enfant. Nanda ne voulait pas mourir. Mais lorsqu'elle regardait les mines de ceux qui l'entouraient, elle doutait de ses chances de survie. Avec sa mère à leurs trousses, l'équipe de secours transporta l'enfant jusqu'à leur véhicule stationné non loin. Tout en pleurant, Léonor monta après eux et tint la main physique de la fillette dans la sienne. L'esprit de l'enfant voulu monter à son tour. Hélas, son pied traversa la paroi métallique au même titre que ses doigts lorsqu'elle tenta de retenir les portes du véhicule. Celles-ci se fermèrent et l'ambulance démarra. Désemparée, Nanda se mit à sa poursuite jusqu'à ce qu'elle le perdît de vue, incapable de le concurrencer de vitesse. Ne sachant où était emmené son corps, la fillette éclata en sanglots au milieu de l'autoroute. C'est alors qu'une autre ambulance passa devant elle, en direction du lieu de l'accident. Machinalement, la fillette se mit à la suivre dans le but d'y lire au moins le nom de l'hôpital.

Sur la place de la tragédie, le cadavre du conducteur était à présent recouvert d'un drap blanc. Un brancard était descendu pour porter la survivante. Cette dernière avait repris connaissance. Le corps couvert d'entrailles, elle murmurait des suppliques à peine audibles.

— Ai...Aidez-moi... J'ai mal...

— Calmez-vous mademoiselle, tout ira bien, la rassurait l'un des brancardiers.

— Pouvez-vous nous donner votre nom ? demanda le secouriste.

— Vitória... Araújo...

— Bien, mademoiselle Vitória, nous vous amenons à l'hôpital Bõa Esperanza. Avez-vous de la famille que nous pouvons prévenir ?

— Non, mes parents me détestent, déclara t-elle avant de fondre en larmes et d'ajouter en tenant son ventre encore plat : ils ne viendront pas... Mon... Bébé... Sauvez-le... Il ne me reste que mon bébé...

A Deep Dreamless SleepOù les histoires vivent. Découvrez maintenant