7°Une querelle°

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Río de Janeiro, 09 décembre 2022, 10 h 45

À son réveil, João pouvait entendre le bruit des vagues non loin. Des rayons de lumière arrosaient son visage, l'empêchant ainsi de poursuivre sa torpeur. Avant même d'ouvrir les yeux, le jeune homme savait déjà où il se trouvait. De sa bande, il n'y avait qu'Irina qui vivait dans un appartement en bord de mer.

En effet, depuis le divorce de ses parents l'année précédente, sa petite amie avait emménagé à Río, faisant ainsi sa connaissance. Sa génitrice, ayant obtenu sa garde, percevait une exorbitante pension alimentaire qu'elle dépensait allègrement. Entre shopping, voyages et soirées privées, Suzanna Rispoli n'avait jamais de temps pour sa fille unique. Ainsi, Irina se retrouvait seule la plupart du temps dans leur luxueux penthouse...

À la migraine qu'il avait, João savait qu'il avait certainement abusé de l'alcool. Toutefois, ses souvenirs de la veille étaient encore un peu flou. Après la supposée bonne nouvelle que leur avait annoncée leur gouvernante Carminha, l'adolescent avait senti une grande colère monter en lui. Il avait alors voulu faire taire ce sentiment, ne serait-ce que l'espace d'une nuit. Les verres s'étaient empilés devant lui jusqu'à ce qu'il perdît le contrôle. Il se rappelait vaguement de s'être engueulé avec quelqu'un avant que le barman de l'Alégré ne vînt les séparer. C'était sûrement lui qui l'avait mis dans un taxi après lui avoir confisqué ses clés de moto.

Pour s'être retrouvé chez sa petite amie, João avait probablement donné son adresse au lieu de la sienne. Et, maintenant qu'il revenait à lui, le jeune homme regrettait déjà d'être venu là. Cela faisait des mois qu'il faisait croire à la jeune fille qu'il avait arrêté de boire. Elle avait été catégorique lorsqu'elle avait accepté de se mettre en couple avec lui : pas d'alcool, pas de drogue ou de cigarette, pas de violence. En d'autres mots, elle lui avait demandé d'être un autre.

João avait un tempérament de feu et il le savait. Pour Irina, il voulait bien faire l'effort d'être moins agressif mais il ne pouvait pas changer du jour au lendemain. En ce qui concernait le reste, il lui avait été difficile d'en faire abstraction en soirée. Les jumeaux Ótavia et Félix avaient toujours un petit stimulant sur eux, mais, pour s'amuser, João pouvait encore s'en passer. Ce sur quoi il n'avait pas pu faire une croix, c'étaient les bières, whiskys, liqueurs, champagnes...

L'adolescent pouvait comprendre que, ayant grandi avec une mère un peu trop penchée sur la bouteille, Irina avait peur de se lâcher de temps en temps. Mais le jeune homme était persuadé de pouvoir s'arrêter à tout moment. Il n'en avait juste pas envie.

Alors qu'il se redressait, un verre rempli d'un breuvage verdâtre apparut dans son champ de vision. Il le saisit et avala d'un trait l'amer remède anti-gueule de bois...

- Merci, murmura-t-il en tendant le verre à Irina.

Cette dernière l'ignora et retourna dans sa cuisine. Comme à chaque fois qu'elle était en colère, João vit qu'Irina s'était mise à faire le ménage. Lui était assis au salon où il s'était endormi la veille. Avec son mètre soixante-dix, tout en muscles, l'adolescent se doutait bien que sa copine n'eût pas eu la force de le porter jusqu'à son lit. Et au tapis manquant sous la table basse, il devinait avec dégoût qu'il y avait probablement vomi. D'un bond, il se leva du canapé et se dirigea vers la cuisine. Son regard le plus attendrissant, João se rapprocha de la jeune fille et s'excusa :

- Amour, je suis désolé.

- Désolé ? répéta t-elle en lui balançant son torchon tout en se tournant pour lui faire face. João, je ne veux pas que tu me dises ce que je veux entendre ! Si tu avais un souci, tu aurais dû venir m'en parler au lieu de boire comme un trou !

- Je sais, j'aurais dû... C'est juste que j'en avais besoin après la nouvelle que j'ai reçu...

- Qu'est-ce qui pouvait bien être si terrible ? gronda la jeune fille en croisant les bras.

- C'est Nanda, la fille de Léonor... Elle est sortie de son coma...

Étonnée, Irina le dévisagea, ne comprenant toujours pas quel était le problème. Certes, elle savait que ni João ni Alinne n'appréciait leur demi-sœur. Mais son rétablissement était-il une raison suffisante pour que le jeune homme se mît dans un état pareil ?

- Quand tout allait mal, reprit João l'air dépité, Madame le Légume dormait paisiblement. Maintenant qu'Alinne est enfin de retour et qu'on est tranquille, elle revient dans nos vies. On dirait une mauvaise blague !

- Comment ça ?

- Si le légume vient vivre chez nous, alors ses parents seront toujours dans le coin. Et rien que l'idée de les voir me donne envie de tout démolir !

En baissant les yeux, l'adolescente remarqua les poings serrés du jeune homme. Elle savait que pour une raison dont il refusait également de parler, João vouait une haine viscérale à son ex-belle-mère et à son père. Un sentiment qui le rongeait de l'intérieur depuis trop longtemps...

- Heureusement, reprit-il plus calme, les résultats de l'examen national sortent d'ici un mois. Une fois mon diplôme en poche, je ne serais plus obligé de vivre chez mon père. On pourrait aménager ensemble. T'en dis quoi ? demanda t-il en lui prenant la main.

- Alors ton plan, c'est de te défiler ? l'interrogea Irina en s'écartant de lui. João, tu ne peux pas agir éternellement comme s'il ne se passait rien. Quand ta sœur était de le coma, je ne disais rien comme tu le souhaitais. Mais elle est de retour maintenant. Et avec ce qu'elle vient de vivre, elle aura besoin que tu sois là pour elle.

- Pourquoi tu ramènes ça sur le tapis ? Je te parle de nous deux là !

- Et moi, je ne peux pas m'empêcher de me mettre à la place de Nanda. Je n'imagine même pas ce qu'elle doit ressentir en se réveillant après toutes ces années. Ça doit être terrible pour elle...

- Attends, tu la défends ? s'énerva João. Mais dans quel camp tu es au juste ?

- Pourquoi faudrait-il toujours qu'il y ait des camps et des conflits ? Tu ne penses pas que le rétablissement de ta sœur est un signe divin pour que ta famille se réconcilie enfin.

- Ma famille ? Ma famille, c'est Alinne, toi et la bande. Je me fiche des autres et de ce qu'ils deviennent ! C'est si horrible que ça ?

- Oui, car tu pourrais aussi faire preuve de compassion envers ta sœur Nanda !

- J'hallucine ! Ce légume n'est pas encore là qu'on se dispute déjà ! Tout ce qu'elle sait faire, c'est créer des emmerdes...

- Non ! On se dispute parce que tu te sers de cette histoire pour te soûler ! Tu es injuste et égoïste !

- Tu sais quoi ? L'injuste égoïste ferrait mieux de se tirer !

- Sérieux ? Alors pars ! Mais surtout ne revient pas toquer ivre-mort à ma porte !

- Très bien ! s'offusqua le jeune homme en sortant de l'appartement en claquant la porte derrière lui.

A Deep Dreamless SleepOù les histoires vivent. Découvrez maintenant