Partie 4

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Le récit s'interrompait ici, plusieurs pages avaient été arrachées. Il ne restait que l'inscription suivante sur la dernière page. L'écriture était la même, mais moins appliquée.

 Voici retracé aussi fidèlement que possible ce qui s'est passé ce soir là au village. J'ai décidé de n'en rien dire à personne pour ne pas nuire à quiconque, mais peut-être que j'en toucherai un mot aux autres intéressés de l'histoire.

Je tournais et retournais ce cahier dans tous les sens, quelle était la suite de la discussion entre l'inconnu et la jeune fille ? Je n'avais aucune légitimité pour connaître cette histoire, ce secret peut-être, comme le suggéraient les dernières lignes du cahier, mais évidemment cela m'intriguait et j'essayais de deviner ce qui avait pu se passer... Mon mari s'inquiéta alors de me voir aussi agitée à cause de ma lecture. Je ne lui avais pas encore raconté ma trouvaille, et je lui résumai le manuscrit, et le fait que l'histoire n'était ni signée, ni datée, et qu'il manquait la partie la plus intéressante sans doute ! Il me demanda où j'avais dégoté ce cahier. Puis me suggéra de demander au propriétaire si vraiment je voulais en savoir plus. Mais bien sûr, je ne trouvais pas que cela soit une bonne idée, je ne voulais pas paraître la fouille-tout qui lit ce qui ne la regarde pas, et je n'oserai pas poser des questions sur un récit aussi personnel, bien que ne datant pas d'hier!

 Quelque chose me titillait dans cette histoire, Quel était le lien entre cet inconnu et Yvette ? Et entre l'inconnu et la jeune fille ? Et que savait la jeune fille ?

Était-ce une histoire qui s'était passée dans ce lieu ? Saint-Jean, cela pouvait être une commune, un lieu dit, mais ce n'était pas le nom de la localité. 

Et cette fille, la narratrice, quel âge avait-elle lors de son récit ? Était-elle encore en vie actuellement ? Toutes ces questions me tourmentaient encore au moment d'aller me coucher, mais je finis par m'endormir en rêvant d'une forêt avec des yeux sombres...

Le lendemain, pendant le petit déjeuner, j'informai mon mari que je souhaitais en savoir plus sur le village et aussi sur l'histoire entre aperçue la veille. Il ne put s'empêcher de trouver mon idée saugrenue, mais me connaissait bien et savait que ce genre d'énigme me plaisait tout particulièrement, et nous décidâmes de passer la matinée chacun de notre côté. Je pris le chemin du bourg avec ma fidèle bicyclette, et je me mis à la recherche d'un musée local, d'une bibliothèque, ou à défaut de la mairie ou d'un ancien du village. Devant renoncer rapidement aux deux premières options vue la taille réduite de la commune, je me rabattis sur la mairie ou j'entrai d'un pas décidé ne sachant pas encore exactement ce que j'allais demander. Dans le couloir, une petite table avec quelques prospectus. Un homme sortait de la mairie. Je l'interpellai :

— Bonjour, je suis en vacances au lieu dit Montaillon sur la commune, et je cherche un lieu de randonnée nommé Saint-Jean, pouvez-vous me renseigner ? 

— Bonjour, désolée madame, vous m'auriez demandé des renseignements sur la chasse dans les environs  j'aurais été incollable, me répondit-il jovialement, mais la randonnée ce n'est pas ma tasse de thé ! Vous pouvez consulter la carte au cinquante millième qui est accrochée au mur de la salle à votre droite, mais je ne pourrai pas vous en dire plus, me dit-il en sortant de la mairie.

J'avançai dans le couloir et je rentrai dans la salle de réunion et je m'approchai de la carte. Une porte dans le fond était occupée par un bureau où une femme m'observait, peut-être la secrétaire de mairie. Elle ne m'adressa pas spontanément la parole lorsque je lui fis un signe de tête. Je commençai donc mon inspection de la carte et des lieux de ferme. Mais difficile de retrouver une aiguille dans une botte de foin.

— Pourquoi cherchez-vous Saint-Jean se décida enfin à me demander la femme qui avait sans doute tout entendu de la conversation précédente.

— On m'a conseillé ce lieu de randonnée...

— Etes-vous sûre ? m'interrompit-elle. Saint-Jean a été rayé des cartes il y a quelques années, et s'appelle désormais Bourdilles, en souvenir d'un illustre homme. C'est situé à environ un kilomètre de Montaillon...

— Ah merci madame, vous connaissez le lieu alors ? 

— Bien sûr, j'ai de la famille là-bas répondit-elle d'un air renfrogné tout a coup. Mais que voulez-vous voir à Bourdilles, il n'y a rien de particulièrement intéressant. Et pourquoi vous a-t-on mentionne Saint-Jean et non Bourdilles ?

— C'est sur un vieux guide touristique que m'a légué ma mère, improvisais-je

— En quelle année est venue votre mère ? 

Je ne sus que répondre tout de suite, ne voulant pas inventer trop de détails inutiles et revenir au cœur de ma recherche. 

— il s'agit plus exactement d'un récit qui se déroule à Saint... Euh a Bourdilles...

Tout à tour surprise, puis sur la défensive, la secrétaire me lança:

— De quoi vous mêlez-vous ? Qui était votre mère pour connaître des détails sur Bourdilles ?

Je commençais à capituler, je ne voulais pas me mettre les locaux à dos, mais je sentais que cette femme savait peut-être plus de détails sur cette histoire de l'inconnu de Saint-Jean. Je me risquai à lui répondre que ma mère m'avais mis en contact avec notre hôte qu'elle avait croisé lors d'un séjour de randonnée pédestre dans les années soixante-dix. Et qu'elle m'avait conseillé la région, et tout particulièrement Saint-Jean, hameau qui l'avait frappé à l'époque, car il semblait figé dans un temps révolu. Qu'elle avait aussi évoqué son lavoir encore utilisé. Qu'elle avait également entendu parler d'une malédiction qui frappait cet endroit.

Je ne sus pas si elle cru à ma version ou si mon mensonge la dérouta, mais elle m'appris tout de go que notre hôte était un cousin, que sa famille était brouillée, et qu'à sa connaissance aucune légende n'était attachée à Saint-Jean. Les quelques maisons restantes du village étaient désormais occupées par des anglais. La plupart des paysans n'avaient pas trouvé de repreneurs. Je sentis que je n'obtiendrai plus rien d'elle ce jour là.


Je la saluai et m'en retourna au gîte en passant par Bourdilles, je traversai un bois qui aurait bien pu être le lieu de la rencontre entre la jeune fille et l'inconnu, mais comment le prouver ?

En rentrant au gîte je décidai d'oublier l'histoire pour la journée et de profiter avec mon mari des autres activités de notre séjour. J'aurais vraiment souhaité connaître le fin mot de l'histoire, mais le soir je me résolus même à retourner déposer le cahier dans la grange. J'hésitai entre le glisser sous la pile de journaux là ou je l'avais trouvé, ou bien le laisser en évidence sur la pile. De toutes façon, les traces de doigts sur la poussière témoigneraient de ma curiosité, donc je laissai le cahier posé comme s'il était évident qu'il avait été lu récemment. Peut-être pour relancer la curiosité des intéressés.

Les yeux de la forêtOù les histoires vivent. Découvrez maintenant