Après notre souper familial, je décidai sans attendre de me rendre chez Yvette pour lui donner le paquet. Elle retourna le mouchoir et le porta à son visage comme pour y retrouver un parfum disparu. Puis, elle défit le nœud, ouvrit le carré de tissu et un médaillon apparut. Elle le considéra longuement puis se mit à pleurer.
- C'est la médaille de baptême de mon mari. Il était blessé et il était venu me voir lors d'une permission, où l'as-tu trouvée ?
Je ne sus que répondre.
Yvette me regarda, interloquée, comme semblant revivre un épisode du passé. Elle se remit à pleurer.
- Si tu savais, si tu savais ma petite, comme je regrette cette histoire.
- Quelle histoire, Yvette ?
- Oh rien d'intéressant, dit-elle en reprenant ses esprits.
Puis elle me regarda longuement et m'annonça qu'elle me considérait comme la personne à qui elle faisait le plus confiance. Que j'étais son amie, malgré notre différence d'âge. Mais qu'elle aimerait me raconter une histoire qu'elle n'avait jamais encore dévoilée à personne. Décidément, ils me prenaient pour confidente ces deux là aujourd'hui.
Son mari était parti à la guerre en traînant le pied. Il n'avait aucune conviction patriotique et agissait uniquement par devoir. Ils étaient nouvellement mariés. Elle n'avait pas eu de ses nouvelles depuis quelques mois et commençait à désespérer. Un soir, alors qu'elle allait se coucher, elle entendit frapper à sa porte. Elle eut l'espoir fou que cela puisse être lui. Mais, en ouvrant la porte, elle vit un tout jeune homme qui se présenta comme un messager. Elle le fit entrer. Il ne savait pas par où commencer ; elle s'attendait au pire. Elle était effondrée. Finalement, elle se jeta dans ses bras avant qu'il ne puisse lui expliquer quoi que ce soit.
Yvette s'interrompit dans son récit, leva les yeux au ciel et dans un chuchotement me fit comprendre qu'elle avait passé une partie de la nuit avec ce jeune messager. Elle voulut se justifier en disant qu'elle ne savait plus ce qu'elle faisait, qu'il semblait tel un ange, qu'il y avait comme un sort qui l'avait lié à lui et qu'elle en était tout à la fois mortifiée en pensant à son mari.
Elle avait l'impression que le jeune homme lui cachait quelque-chose. Il semblait autant allemand que français, son accent l'avait interpellée. Mais elle avait tellement honte de ce qui s'était passé ce soir là, qu'elle le laissa partir sans en savoir plus, tout à son chagrin... C'est comme si l'âme de son mari s'était retrouvé dans l'inconnu.
- Victor - c'est la seule chose que je connais de lui, son prénom - m'avait donné un certificat de décès. Quelques semaines plus tard, je me suis rendue compte que j'étais tombée enceinte, et, pour ne pas perdre complètement mon honneur, j'ai été faible, j'ai fait valoir le certificat, et j'ai raconté que mon mari était venu me voir une dernière fois avant de mourir au combat.
Yvette lut dans mes yeux que je compris alors que son fils était aussi celui de l'inconnu.
Devais-je lui en apprendre plus sur les circonstances de la mort de son mari ? Elle était déjà tellement retournée, que je décidai d'attendre l'aube pour analyser la situation.
Le récit s'arrêtait là.
Je relus le manuscrit en entier, et je me demandai ce qui s'était passé ensuite.
Est-ce que la jeune fille a expliqué à Yvette la désertion de son mari, et qu'il était enterré dans la forêt ? Ou a-t-elle au moins averti son fils ?
Et plus prosaïquement, que faisait ce cahier qui contient un tel secret de famille dans ce gîte. Pourquoi les pages manquantes ont été restituées ? Quand et par qui ?
Par l'auteur du récit ? J'élimine d'office notre hôte, il ne sait sans doute pas que j'ai lu ce récit, et bien évidemment je repense à sa cousine, la secrétaire de mairie. Quel intérêt aurait-elle eu à arracher ces pages et à les restituer plus tard ? Ou même maintenant ? Une histoire d'héritage ?
Et quelle conduite tenir maintenant ?
Déboussolée, et pour écarter tout faux pas, je décidai d'aborder le sujet, si possible subtilement, avec notre hôte le lendemain.
À la fin de l'état des lieux je lançai :
- Vous me pardonnerez, j'ai découvert des vieux Paris-Match dans votre grange, et je n'ai peut-être pas tout remis en ordre...
- Oh, ne vous inquiétez pas, je n'ai pas touché à ces magazines depuis la mort de ma femme, c'est elle qui rangeait ses papiers ici, il va falloir que je fasse un grand tri.
Si la femme du monsieur connaissait ce cahier, ne serait-ce pas tout simplement elle qui l'avait écrit ?
- Et j'ai vu également qu'elle avait laisse un document manuscrit qui peut avoir de la valeur, même sentimental, ne jetez pas tout sans les lire....
J'essayais de garder une mine énigmatique pour ne pas me dévoiler trop, l'intriguer un minimum sans l'affoler...
Comme nous nous éloignions du gîte en voiture, j'aperçus notre hôte se diriger vers la grange...
Merci aux lecteurs qui se seraient aventurés jusqu'ici. Pour l'anecdote, cette nouvelle est l'une des premières que j'ai écrite il y a deux ans, car, comme la narratrice, je n'avais plus un livre à me mettre sous la dent pendant des vacances en Dordogne. Je ne connaissais pas Wattpad à l'époque ! Il me reste un dénouement/épilogue à écrire, ce que j'ai beaucoup de mal à faire en général... J'en ai seulement un très bref sous le coude. Si vous pensez qu'il serait intéressant de développer plus certains aspects de l'histoire, n'hésitez pas à commenter. Merci beaucoup !
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Les yeux de la forêt
AcakUne vacancière en manque de lecture découvre un cahier oublié dans la grange de la location estivale. Sa lecture va la conduire à la recherche de l'histoire d'un mystérieux inconnu...