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J'avais loué ce chalet en bord de mer à un vieux couple franco-allemand. Mariane et Ewen. Au début, j'avoue, c'est la nature paradoxale de cette union qui m'avait attirée. J'avais besoin d'inspiration pour mon premier livre. Alors, quand je me suis montrée chez eux pour une interview impromptue, j'ai été assez déçue. Ils s'étaient rencontrés à la plage, et non dans l'univers de la guerre.

Très vite, ils m'ont parlé de leur chalet dans le nord. Petit, disaient-ils, mais confortable. Les murs expressément peints en un bleu délavé et la toiture faite de tôle jaune. Il avait été construit à deux mètres à même le sol, soutenu par deux poutres enfouies dans le sable, vers l'avant. Tu n'es pas Française, m'ont-ils dit, tu viens de la Martinique. J'ai souri à ce moment là.

- Je viens d'une petite île, c'est vrai, mais, ce n'est pas la Martinique.
- La Guadeloupe, peut-être ?
- Qu'est ce qui te prend, Mariane ? Moi je suis sûr que tu viens de la Réunion.

Ils me posaient beaucoup de questions. Et tes parents, alors ? Ton île, elle ne te manque pas ? Ça fait combien de temps que tu vis en France maintenant ?

À la fin, ils m'ont offert un mois, pour le prix d'une semaine, à leur fameux chalet. J'ai accepté.

Ne t'inquiète pas, m'ont-ils dit, notre fils t'aidera, là-bas, il habite l'un des chalets voisins, avec sa fille et son fils.

Je ne m'inquiétais pas vraiment.

Une semaine plus tard, je roulais en direction du nord, à bord d'un vieux taxi. Le chauffeur m'a déposée à l'entrée de la plage.

Plus loin, il y avait, sur le sable, une allée de planches de bois qui semblait mener directement à la plage. Des poteaux étaient enterrés de chaque côté tout au long de l'allée qui devait faire à peu près vingt mètres de longueur. Un homme s'appuyait sur le deuxième poteau de gauche, la tête dans un magazine de voyage.

Je me suis approchée de l'allée avec mon étui de guitare sur le dos et, en faisant rouler ma valise sur l'asphalte.

Il me fallait lever ma valise pour la poser sur les planches. Elle était tellement lourde que je pensais que ce serait impossible. Hors de question de poser ma guitare par terre.

Alors que j'en étais à ma quatrième tentative, j'ai senti le regard de l'homme se diriger vers moi. De ma vision périphérique, je l'ai vu s'approcher.

- Laisse moi t'aider.
Sans lever le regard, j'ai répondu:
- Non, merci.
- Maïa, c'est ça ?
- Non.

Il ne m'a rien dit, mais, il s'est emparé de ma valise et l'a facilement placée sur les planches.

D'accord, donc, règle numéro une: Ne. Jamais. Toucher. À. Mes. Affaires.

- Non, mais, pour qui v...
Je n'ai pas terminé ma phrase parce que mon regard a rencontré le sien. Bleu glacé. Des cheveux sombres et bruns qui retombaient gracieusement sur le visage. Lèvres pleines. Trente-huit ans, peut-être ?

Je me suis resaisie, à ce moment-là.
- Je pouvais très bien m'en sortir toute seule.
Il a souri. Puis, il a hoché la tête.
- Mes parents. Ils m'ont prévenu de ton arrivée.

Et là, j'ai compris. Il avait les yeux clairs du vieil homme allemand et les cheveux sombres de l'épouse française.

- Vous êtes le fils en question ?
- Et, toi c'est Maïa haha.
- Ça, c'est pas mon nom. Je m'appelle...

Il m'a gentiment interrompue d'un mouvement de la main et, s'est brusquement tourné en direction de la mer.

- Je sais, mais, ici, personne ne dit son vrai nom.

Il s'est retourné vers moi, les yeux brillants à la lueur du soleil, avant de dire de nouveau: «Personne». Puis, il a ajouté vite fait:

- Mais, tu peux m'appeler Perry... et toi. Toi, tu es Maïa. Dès maintenant.

Là, je n'avais qu'une seule envie; appeler un taxi, retourner vers Paris, et tout oublier.

- Viens.
Non. Je ne veux pas.
- D'accord.

Et, je l'ai suivi. Il marchait devant et moi, j'emboîtais le pas. Les planches grinçaient sous notre poids alors qu'on avançait. Mais, j'apercevais de plus en plus la plage, à présent. L'allée de planches s'arrêtait là, sur le sable.

Sans un mot, Perry s'est retourné et une fois de plus, a saisi ma valise. Cette fois-ci, il l'a levée et l'a portée sur son épaule gauche, soutenant le poids par le bras. Je ne l'ai pas remercié.

Mon regard a parcouru l'horizon. Je n'avais connu que la plage de mon île, auparavant. Ce jour-là, ça a été la première fois que j'ai vu une plage française. C'était sobre et tranquille, différent. La mer était moins vibrante, moins sympathique. Moins bleue. Mais, c'était une de ces différences qui font plaisir.

Perry s'est dirigé vers la droite et après quelques secondes, je l'ai suivi.

Et, je les ai vus.

Pas très loin, il y avait ces deux rangées de chalets qui faisaient face à la mer. Encrés dans le sable. Il devait bien en avoir une vingtaine et ils étaient tous différents, très colorés.
C'était déjà très beau, vu de loin.

Perry avançait toujours, ma valise appuyée sur l'épaule, et de la main droite, tenant son magazine. Je l'ai rejoint après avoir enlevé mes basquettes. Je sentais le sable sous mes pieds. Cette sensation de sable était différente. Mais, étonamment, ça m'a rappelé de vieux souvenirs d'enfance. Ceux que je m'étais promis d'enterrer.

Perry m'a regardée tout en marchant puis:
- Dis moi seulement une chose.
J'ai hoché la tête.
-T'as quel âge ? m'a-t-il demandé.
- Vingt-et-un ans.

Il m'a souri, puis, a regardé droit devant lui, en direction des chalets.

- Il y a pas mal de jeunes de ton âge, ici. Mes deux enfants, eux... ils sont jumeaux... ils auront dix neuf ans bientôt. Tu ne seras pas seule.

Ensuite, la marche vers les chalets s'est faite lourde et silencieuse. Affreusement gênante, aussi. Mais, je n'étais pas sûre que Perry était du même avis. Il était tellement à l'aise. Éventuellement - et heureusement - on est arrivés.

La première rangée faisait directement face à la mer. Elle consistait des chalets les plus petits, uniformément construits et, presque collés les uns contre les autres. Très vite, je me suis mise à chercher mon chalet. Celui avec les murs peints en bleu délavé et le toit de tôle jaune.

Je ne l'ai pas trouvé.

seuleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant