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L'intérieur du chalet était tout aussi rustre que l'extérieur.

C'était en effet très petit. Une petite pièce unique meublée d'une table appuyée contre le mur, d'un petit tabouret et de deux simples étagères.

Il n'y avait rien d'attachant, de chaleureux ou de personnalisé. C'était entièrement vide et le tout ressemblait à une énorme masse de bois noircie par l'humidité. C'était propre, par contre. Ça se voyait que l'intérieur avait subi un grand nettoyage tout dernièrement.

Je me suis avancée l'air penaud, l'esprit agité alors que le sol grinçait sous mes pieds. J'avais toujours les clés qu'Hugo m'avait données en mains. J'en ai saisi une au hasard et l'ai incérée dans la serrure de la porte arrière. Comme ça n'a pas marché, j'ai essayé l'autre. La porte arrière s'est déverrouillée sans souci. Je l'ai donc ouverte d'un coup sec. Les mouettes jusqu'ici perchées sur ma minuscule terrasse arrière se sont envolées d'un battement d'ailes sous l'air chaud du midi.

Je voyais le chalet de Perry, à présent. Par contre, il n'y avait personne sur sa terrasse et je ne percevais aucun mouvement non plus à travers la baie vitrée.

Je me demandais où pouvait bien se trouvait Hugo et, rien qu'à y penser, j'étais furieuse. Furieuse contre lui parce qu'il avait osé me saisir le menton d'un air tyrannique alors que je le connaissais à peine (je déteste qu'on me touche, quelle que soit la situation). Furieuse contre Mariane et Ewen qui, très certainement, ne m'avaient pas dévoilé leurs vrais noms. Furieuse contre moi-même pour m'être laissée embarquer seule dans cette histoire, à plusieurs kilomètres de mon appartement à Paris.

J'ai senti mon téléphone vibrer de la poche arrière de mon short. 

C'était Elliott. Son vingtième message vocal, après une série d'appels manqués.

Après avoir tout effacé (sans prendre la peine d'écouter aucun de ces messages), j'ai mis mon portable sur mode avion. Finalement, j'ai besoin de vacances, me suis-je dit, le décor est parfait.

Je me suis retournée pour ouvrir ma grande valise. Je comptais garder la grande pile de vêtements à l'intérieur, enlever et installer tout le reste du mieux que je pouvais.

Je n'entendais plus Matt et Isa et de toute façon, même si l'envie leur prenait de reprendre leur précédente activité, j'avais mes écouteurs en réserve. J'avais aussi pensé à prendre mon chargeur d'accumulateur qui marchait sans le besoin d'électricité au cas où ma batterie se retrouverait à plat.

J'ai saisi mes toiles de peinture vierges pour les poser sur l'étagère du bas. J'ai déposé toute ma trousse d'artiste sur l'étagère supérieure. Fioles de peinture en tout genre - du gouache, de la peinture à l'huile, de l'acrylique -, différentes tailles de pinceaux, mon goblet pour diluer la peinture.

Sur la table, j'ai posé un vieux verre dans lequel je comptais mettre des fleurs que je cueillerais plus tard. À côté, j'ai posé le petit carnet que je venais juste d'acheter pour narrer mes prochaines journées de vacances, et une panoplie de stylos bille. Puis, j'ai appuyé ma guitare à la verticale contre l'un des murs de sorte que l'espace paraisse moins vide. Et, finalement, j'ai défait mon sac de couchage que j'ai étendu par terre.

J'avais moins peur à présent que la situation semblait être sous contrôle. J'avais l'étrange sensation que je me sentirais bien ici, malgré tout. Si je me tenais à l'écart de toutes ces personnes bizarres, ça devrait aller.

J'ai fermé la porte arrière à clé et j'ai rapidement enlevé mon chandail et mon short pour enfiler mon bikini blanc, légèrement ouvert au niveau des seins. J'ai pris le petit sac vide que j'avais enfoui dans ma valise au hasard, pour y mettre quelques fioles de peinture et quelques pinceaux, un tableau vierge et une nappe de plage. J'ai aussi pris le déjeuner que j'avais préparé au préalable ce jour-là (simple sandwich au thon) et ma bouteille d'eau. Au dernier moment, j'ai pris mes écouteurs et mon téléphone avant de sortir du chalet et de finalement fermer la porte de devant à clé.

Je cherchais un endroit où m'asseoir tranquillement. 

Mon regard a directement été attiré par les flots calmes et passifs de la mer. Il y avait de petites vagues que les surfeurs prenaient un malin plaisir à taquiner et le soleil laissait paraître ses doux rayons de l'après-midi. On n'était pas à l'île Maurice, certes, mais, l'endroit avait son propre charme, une personnalité presque impossible à nier, ou même à comparer.

Je me suis installée plus vers la partie gauche de la plage. Pas très loin de là où se trouvait la pompe à eau qui était en hauteur, sur une vieille plateforme en blocs de pierre. J'ai remarqué qu'à côté, il y avait une tente de camping verte, fermée. Qu'une seule tente. Il n'y en avait pas d'autres. J'ai été immédiatement intriguée mais, pas assez pour m'attarder là-dessus. Moi, j'étais toujours sur le sable. Sur ma nappe de plage, je veux dire. Après avoir littéralement englouti mon sandwich, j'ai enlevé mon tableau de mon sac, ainsi que mes fioles de peinture et mes pinceaux pour les poser à mes côtés. J'ai pris mes écouteurs et en farfouillant dans ma liste de chansons à écouter, j'ai retrouvé une vieille chanson. Coups et Blessures. Éperdument nostalgique. Parfait quant au décor.

Et, j'ai commencé à peindre.

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Je ne sais pas exactement combien de temps s'est écoulé mais les rayons dorés du soleil commençaient à virer à l'orange et à perdre de plus en plus de leur vivacité. J'ai allumé mon téléphone et j'y ai lu 17hrs 36. Un rire d'enfant a résonné au loin, accompagné d'un méli-mélo de voix d'adultes.

J'étais restée là tout ce temps et je n'ai pu m'empêcher de remarquer que  la tente de camping demeurait intacte: personne n'était ni sorti ni entré. Ma liste de lecture jouait maintenant Tout Oublier. Je marmonnais doucement les paroles en appliquant le coup de pinceau final à mon interprétation des vagues douces du nord, des enfants courant vivement et, des amoureux longeant la plage rêveusement, main dans la main.

J'ai senti une silhouette s'asseoir à mes côtés. Je me suis brusquement arrêtée de chantonner, hésitant toujours à lever la tête. Ma main gauche qui tenait toujours mon pinceau s'est momentanément tenue en lévitation au dessus de mon tableau, à présent abouti. Derrière moi, j'ai senti la présence d'une autre personne, penchée au dessus de ma tête. J'imaginais une fille puisque je sentais le bas de ses cheveux me chatouiller le bas de la nuque.

- C'est beau! s'est exclamée une voix féminine et enjouée. Très, très beau, même !

J'ai lentement levé la tête pour voir mon interlocutrice. C'était une jeune femme. Elle avait les cheveux excessivement noirs mais la racine laissait entrevoir quelques mèches brunes. Les yeux étaient clairs et tirés en forme d'amande. Elle devait certainement avoir des origines asiatiques.

- Putain, et tes yeux alors ! s'est-elle exclamée avec le même ton (elle s'est retournée pour regarder la personne derrière moi). Céline ! Regarde ses yeux gris comme c'est beau !

C'était à mon tour maintenant de me retourner. Et, quand j'ai vu le visage, mon esprit a directement fait bond en arrière, à quelques heures de cela, dans mon chalet... Le chalet d'à côté... Hugo qui crie... Les mouvements haletants qui s'arrêtent... les chuchotements... le jeune homme roux... Matt.

La fille était rousse. Ses boucles soyeuses descendaient jusqu'aux épaules. Elle avait ces mêmes tâches de rousseur, ces mêmes yeux couleur noisette, cette même peau pâle qui, au toucher, devait être très douce.

- En effet, de très beaux yeux, a-t-elle dit, en opinant lentement de la tête. Mais, ce que j'aime encore plus (son regard s'est baissé vers le tableau alors que son doigt a lentement parcouru la surface), c'est l'emphase que t'as mis sur l'écume des vagues. J'aurai pas fait mieux.

Ses yeux sont remontés vers les miens avant qu'elle ne me tende la main et ne me dise: «Je m'appelle Céline et toi ?»

seuleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant