PROLOGUE

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Clay

— C'est non ! Il est hors de question qu'on vende !

— Clayton, si on avait le choix, ça se saurait, clame Kate à l'autre bout du fil. Plus personne ne veut travailler avec toi tant tu es imbuvable, et moi...

Sans attendre la fin de sa phrase, je raccroche le combiné. Qu'est-ce que j'en ai à foutre, moi, qu'elle ait décidé de jouer les parfaites citadines à l'autre bout du continent ? Elle n'a jamais aimé notre mode de vie de toutes manières. Pour Katelyn Malone, seules la mode et le luxe comptent. Alors, il est certain que vivre dans un cabanon au fin fond de nulle part, ce n'est pas assez bien pour Madame.

D'un geste rageur, je fais voler la pile de paperasse qui attend, sur mon bureau, d'être traitée, ce qui ne manque pas de faire réagir Livy.

— Veux-tu bien cesser de me regarder comme ça ?

Evidemment, Livy ne répond pas. Après tout, à quoi m'attendais-je ? Ce n'est qu'un chien. Une bâtarde qui plus est. Une espèce de croisement entre un Golden Retriever et un Teckel. Ne me demandez pas comment les parents ont fait, je n'en sais fichtre rien. Tout ce que je sais, c'est que cette bête, aussi bizarre soit-elle, est la seule compagnie fidèle qu'il me reste. Même les saisonniers qui travaillaient, autrefois, à la concession, se sont fait la malle juste avant l'arrivée des grands-froids. Soit disant, je suis imbuvable. Ça se voit qu'ils n'ont jamais eu à travailler avec mon père, lui était clairement pire que moi : il était tyrannique !

— Tu vendrais, toi, à ma place ? reprends-je à l'attention de Livy.

La chienne, jusqu'à présent de l'autre côté du bureau, en fait le tour, me saute sur les genoux et glisse sa petite tête couleur crème dans ma main.

— Ouais, t'en as rien à foutre tant que t'as ta bouffe et tes câlins, quoi !

Les petits yeux de Livy se mettent à briller. J'ai prononcé le mot magique : bouffe ! Cette bestiole ne pense qu'à manger, et accessoirement à se coller au chauffage. De ma main libre, j'ouvre le premier tiroir de mon bureau et en sors un paquet de biscuits pour chien. Mes yeux se posent instantanément sur la bouteille de whisky que je planque dans ce même endroit. Pourquoi je la cache ? Bonne question, puisque de toute manière personne à part moi ne peut la trouver. Je pourrai même la laisser bien en vue, avec un putain de nœud rouge et une étiquette à la Alice au pays des merveilles, qui dit « buvez-moi », que je serai quand même le seul connard à la boire.

— Et puis après tout... fais-je en me munissant de mon précieux, pendant que Livy s'attaque à ses biscuits.

L'alcool ambré tapisse d'abord mon palais avant de me brûler délicatement la gorge. J'ai tenu trois mois sans en prendre une gorgée, et je me rends bien compte que je suis en train de réduire tous mes efforts à néant, mais personne n'est là pour me gueuler dessus. Et puis, je serais quand même le seul à ramasser mon vomi demain matin. A situation idéale, alcool idéal. Je reprends une gorgée. Cette seconde passe mieux que la première, elle ne me permet pas encore de ressentir les effets que je recherche en me bourrant la gueule, mais elle a le mérite d'anesthésier le fait que je veuille téléphoner à tout le monde pour leur dire ce que je pense d'eux.

Troisième gorgée.

Plus longue que les deux premières. Je regarde la bouteille, à peine un quart de celle-ci s'est envolée dans mon gosier depuis son ouverture, il y a cinq minutes.

Quatrième.

Cinquième.

Sixième.

Ma bouche commence à picoter, endormie par les effets du breuvage. Je n'en suis pas encore au point d'être complètement torché, mais j'ai quand même une méchante envie de pisser. Alors, je me lève, la bouteille toujours en main, et dépose une Livy ronflante sur mon fauteuil de bureau, avant de prendre la direction des chiottes. Je foule le sol avec la même délicatesse qu'un patineur expérimenté. Mais attention, pas un patineur artistique qui ferait des pirouettes ! Non. Je suis plutôt du style hockeyeur bourré qui tente de garder l'équilibre alors qu'il vient à peine de monter sur la glace. Et ma performance se confirme lorsque je trébuche dans l'unique carpette du cabanon en tôle. C'est un but parfait de Clay Malone qui se prend la porte des chiottes dans la gueule !

Porte 1 – Clay 0

Fin de match !

A plat ventre sur le sol, je passe une main sur mon front, en me morigénant de m'être pris les pieds dans ce satané paillasson, et y découvre une substance chaude et quelque peu visqueuse. Il n'en a pas fallu plus pour éveiller Livy qui court à mon secours, et lèche ma plaie de sa langue rugueuse.

— Ouais, je sais, dis-je en m'asseyant dos contre la porte, j'avais dit que toute cette merde était derrière moi. Mais sérieux, Liv', si t'étais à ma place, toi aussi, tu l'aurais bu cette bouteille.

Encore une fois, ce satané clébard ne me répond pas. J'aurais mieux fait de prendre un Malamute, un chien bien de chez nous. Un truc robuste qui vit dehors, pas une espèce de bestiole courte sur pattes qui me lèche la gueule !

Soudain, le téléphone retentit à l'autre bout de la pièce, et je m'y traîne tant bien que mal.

— Malone, fais-je en m'installant à nouveau sur mon fauteuil en cuir.

— Clay, je sais que j'ai dépassé les bornes, mais...

— Kate, ce n'est vraiment pas le moment, là ! je tonne, en imbibant d'eau un mouchoir en papier.

— Ecoute-moi, s'il te plait !

Je m'apprête de nouveau à raccrocher au nez de ma sœur, quand elle reprend :

— J'ai une proposition à te faire...

If You Seek Amy [SOUS CONTRAT D'EDITION BLACK INK]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant