" Tu seras jamais qu'une poussière gamin"
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Une voix éraillée parle sans discontinuer, mais je suis dans mes pensées.
Vous êtes-vous jamais demandé quel était votre rôle dans l’univers ? Je veux dire, on est presque huit milliards sur cette Terre. Sans savoir s'il existe une vie ailleurs. Peut-être que des cochons avec des tentacules ont développé leur propre Star Wars sur la planète Toutang dans la galaxie du chasseur de boules. Qu’ils se demandent si des singes pas poilus — enfin pour la plupart — existent à l’autre bout de l’univers.
Huit milliards. Dont une bonne partie d’emmerdeu...
(Mes parents seraient sans doute fâchés s'ils savaient que je viens d'utiliser ce mot)
Dans toute cette marée humaine, pas facile de trouver sa place... Est-on destiné à devenir apiculteur ou kébabiste ? Faire des études de dix ans ou se tirer après son bac ? Trouver son âme-sœur et fonder une famille comme dans les films ? A moins que le destin se joue de nous avant, et qu’on finisse cryogénisé et emballé dans un sac en plastique.
J'ai cassé l’ambiance.
— Toute façon tu seras jamais qu’une poussière gamin.
Mario se gratte une barbe inexistante tel le vieux sénile qu’il est. Ses cheveux bruns tombent en cascade sur son beau visage épargné par les rides. Personne dans ma ville n’a jamais compris comment la vieillesse avait pu l’épargner. Moi y compris.
— Comme celles qu’on époussette sur l’étagère. Inutiles et énervantes, on a beau les repousser, elles finissent toujours par revenir nous embêter. Un vrai fléau !
Mario trouve toujours les bons mots pour vous faire sentir encore plus mal.
Aujourd’hui, il prend sa retraite. Son petit magasin de produits cosmétiques est repris par un petit riche : Simon, si je me trompe pas.
Mario l’a rencontré par un pur hasard, dans la rue des Peupliers devant son magasin ; suçant son bonbon à la menthe et regardant les passants, le sexagénaire a tout de suite repéré le parfum de luxe qu’utilisait Simon. Et sans que personne ait son mot à dire, il l’a pris comme stagiaire, dans l’optique de lui léguer son bien.
Faut pas chercher.
Je rentre chez moi à pied. Dans ma ville, tout est rassemblé dans le quartier principal, et j’en ai à peine pour cinq minutes jusqu’à mon appartement. Bienvenue à "Trou paumé sur Seine”.
Mais on s’y plaît, faut admettre qu'il fait bon vivre ici.
— Salut boulet ! lance une voix.
Je me retourne et aperçoit Pedro, mon meilleur ami à l’autre bout de la rue. Ce débile hurle comme un malade, sans se soucier des gens qui se retournent sur son passage. Il s’élance vers moi, ses jambes frêles et maladroites entamant une danse qui va mal finir. Miraculeusement, il arrive à moi en un seul morceau.
— Salut mec !
Il me tape le poing avant de mettre un bras autour de mes épaules. J’ai horreur qu’on me touche sans mon autorisation, mais vu que je suis un gros flemmard, je ne dis rien. Collés l’un à l’autre comme des idiots, on doit donner un bien piètre spectacle.
Je suis aussi gros qu’il est maigre, aussi sarcastique qu’il est franc. On se complète bien tous les deux. J’esquisse un sourire.
— Alors qu’est-ce que tu fous là ? me demande Pedro.
— J’allais rendre visite à ta mère.
La baffe ne tarde pas à arriver et je geins. Je l’ai mérité. Oui la douleur et moi on ne s’aime pas trop.
— Toujours aussi diplomate ça fait plaiz... je soupire, en me frottant la joue. Bref, je viens d’aller voir le vieux... On maintient toujours cette idée pourrie d’enterrement de vie de travail ?
Ça fait quelques mois maintenant que la ville prépare une surprise pour fêter la retraite de Mario ; j’ai été chargé —bien évidemment — de vérifier s’il se tenait tranquille pendant la préparation, et qu’il ne se doutait de rien.
— Rappelle moi qui a eu l’idée ? me demande mon pote.
— Que j’aille lui mettre mon poing dans la tronche ?
— Tu lis dans mes pensées !
On éclate de rire. Je sais ce que vous vous dites : quel duo d’imbéciles. Mais on rigole, au fond, Pedro et moi on a un grand cœur !
quelques minutes plus tard...
— Mec, t’abuses !
Je viens d’écraser un pauvre escargot sans défense avec la roue du vélo de mon ami que je viens d'emprunter, et Pedro, en grand défenseur des insectes qu’il est — qui aime ces sales bêtes sérieusement ? — m’engueule. Je rigole en réponse et accélère : ma chevelure soyeuse et dorée —notez le sarcasme — me vient immédiatement dans le visage, et je crache vite pour enlever cet affreux cheveu sur la langue.
Aurevoir le charisme.
J’arrive en trombe chez moi, posant mes chaussures en vrac dans l’entrée.
— Maman ? Chuis là ! je hurle à travers la maison.
— Mais ferme-la !
— Lindsey, tu vas parler mieux à ton frère !
— Vous pourriez vous taire, y’en a qui essayent de travailler ici !
Je soupire, moitié hilare, moitié fatigué. Bienvenue chez moi !