"Les miroirs ne mentent pas et heureusement pour vous ils ne rigolent pas"
Le bougre est figé comme une statue, les mains devant le visage, les traits déformés par la terreur.
— Mais qu’est-ce qui se passe Simon ? je m’exclame.
— Ah parce qu’en plus tu le connais ?
“C’est pas parce que je le connais que je l’aime bien monsieur l’agent”
Bien sûr je n’ai pas dit ça à voix haute.
— Il travaille dans le petit magasin de la rue d’à côté... Mais j’ai dû le croiser une ou deux fois dans ma vie.
Je suis interrompu dans mes excuses à deux balles par un nouveau gémissement de Simon.
— Bon qu’est-ce qu’il passe à la fin ? s’énerve le flic. Vous êtes de mèche tous les deux ? C’est un mauvais coup c’est ça ?
Simon, lui, a l’air incapable de répondre, trop pétrifié par ce qu’il observe dans le miroir. Son reflet, l’air ahuri lui renvoie son désarroi en pleine face.
— Je vous jure que je n’ai rien prévu ou fait quoi que ce soit d’illégal m’sieur l’agent, j’explique, en ayant l’impression d’encore plus m’enfoncer. Simon travaille dans la parfumerie, et j’étais en repérage pour... fête... retraite... d....e...Mar...i...o, je raconte en baissant la voix de plus en plus bas pour ne pas dévoiler le plan au reste de la rue.
Même si, en y repensant, personne d'autre que l'agent et Simon n’auraient pu m’entendre à ce moment-là...
— Ma pauvre peau... Si fraîche et fragile...
Ah, Simon s’est décidé à parler à ce que je vois.
— La voilà souillée, hoquète-il. Salie ! Détruite à jamais ! finit-il en sanglots dramatiques.
Une vraie pièce de théâtre. Il a juste un petit bouton sur le nez et il se met dans tous ses états ! Alors que pour ma part, quand je me réveille le matin, c’est la guerre mondiale que je vois dans le miroir sur mon visage.
— Je... C’est une blague ?
Le policier est bouche-bée, le regard vide fixé sur le corps prostré de Simon en face de lui, et moi, à côté, me retenant de rire par respect. Le pauvre a cru à une intervention tangible mais il faut croire que ce n’est pas son jour...
— Tu nous faisais quoi là Simon ? Le flic aurait carrément pu t’envoyer en garde-vue, à quelques jours de la fête de retraite de Mario ! Tu crois que ça lui aurait fait plaisir ?
Simon ne répond pas, toujours perdu dans ses pensées, assis sur le comptoir de la parfumerie. Moi, je le regarde, debout, immobile comme un idiot. Je dois préparer la fête mais avec ce grand nigaud comme "complice” ça risque d’être compliqué.
Je sors du magasin de décorations les bras chargés ! Je souffle comme un bœuf en arrivant devant le comptoir et Simon me jette un regard désespéré car il a horreur de la transpiration et de la saleté en général.
Bip...
C’est Pedro qui m’appelle sur mon portable dernier cri.
Un Iphone 5 reconditionné c’est bon pour vous ?
— Yoo paal !
Depuis que Pedro regarde ses séries en VO il s’amuse à sortir des expressions américaines à tout va...
— Comment ça va mon pote ? Qu’est-ce qui se passe ?
— C’est à propos de la retraite de Mario... Tu te souviens du traiteur que mes parents connaissent et qu’ils avaient engagé pour la soirée ?
— Bien sûr que je m'en souviens ! Tu sais bien que la bouffe et moi ça fait un et que j’ai été le premier au courant du menu ! dis-je d’un ton fier.
— Et bien... comment dire... Bon voilà, en gros il est atteint d’une maladie assez semblable à une grippe, la covid je crois avoir entendu... Une bonne excuse pour passer le week-end devant Netflix si tu veux mon avis ! râle Pedro.
— Non je m’en fous de ton avis là tout de suite ! Tu es en train de me dire que notre seule nourriture pour la soirée vient de disparaître 1 jour avant l'échéance ? La dernière fois que j’ai eu une aussi grosse désillusion c’était devant le remake de Home Alone, je marmonne déprimé.
— Toujours est-il mon pote qu’on va tous finir la nuit affamés si on ne trouve personne... Débrouille-toi tout seul je dois aller à un rencard salut !
— Pedro...?
Le con a raccroché.
“Débrouille-toi” ? “Un rencard” ? Il aura des comptes à me rendre celui-là pour sûr.
Je m’assieds, en imaginant la tête de la gonzesse que mon pote doit se taper... La chance qu’il a...
Il suffit que je lève la tête pour voir à quel point je ne suis pas physiquement attirant. Enfin, je veux dire il y a un miroir en face de moi c’est pour ça.
Je ne peux pas techniquement voir à quoi je ressemble juste en relevant la tête n'importe où. Breef.
“Les miroirs ne mentent pas et heureusement pour vous ils ne rigolent pas”
Encore une belle phrase de notre bien-aimé Mario. C’est sûr qu'en voyant mes bourrelets et mes cheveux trop longs mal coiffés, la glace aurait des raisons de se marrer. Des fois je suis presque au point de rigoler de moi-même mais mon autodérision est un poil trop faible.
Encore un défaut qui rejoint le quartier général.