5 - Le châtiment

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        Etonnamment, personne ne se rendit compte de l’origine du changement. Les habitants parvinrent à repousser les Ladras dès le lendemain ; ils décontenancèrent leurs adversaires en allant à leur encontre et en bataillant, alors qu’ils n’avaient jusqu’alors que tenté de se protéger. Les corps commencèrent à tomber dans l’autre camp et aucun Ladra ne put revenir informer les siens que la stratégie des assiégés venait de changer du tout au tout. Les villageois semblaient avoir oublié la notion même de douleur en l’espace d’une nuit.

        Dagnir ne pouvait plus voir que l’ombre grise du fœtus. Il mourrait d’ici quelques jours, pensait-il.

        Il se trompait.

        Les villageois repoussèrent les Ladras en l’espace d’une dizaine de jours. Lorsque ces derniers se rendirent compte que chacun de leur assaut se terminait en hécatombe, ils finirent par envoyer une demande d’accord. Les habitants du village de Dagnir parvenaient à combattre en toute circonstance, tant que les blessures ne concernaient pas des points vitaux. La vie reprit son cours, et la tension des dernières semaines fut remplacée par la joie d’être libre. On enterra dignement les morts et les activités habituelles reprirent. Tous attribuaient leur victoire à une brusque détermination qui s’était emparée d’eux et avait formé une sorte de volonté collective. Ils ne s’étonnaient pas de ne pas ressentir de brûlure sous l’effet du feu ou de la glace. Ils sentaient le chaud, le froid, la maladie, mais les sensations s’arrêtaient au seuil de la douleur.

        Orya reprit des forces, et réalisa sa grossesse. Elle ressentit du chagrin, bien sûr, à cause de l’absence de son mari, mais cela s’apparenta à une vague tristesse. La lumière du fœtus ne changea plus de couleur ni d’intensité. Il ne souffrait pas mais il n’émanait pas non plus de lui l’onde de calme et de paix que Dagnir avait ressenti.

        L’enfant vint au monde une chaude soirée d’été. Les hommes n’avaient pas le droit d’assister aux accouchements, mais le dirigeant du village devina qu’il avait été surréaliste. Une mère heureuse, exempte de douleur, qui donnait la vie dans une atmosphère de recueillement, sans besoin de plantes ni de décoctions, rapidement et simplement, dans un silence solennel. Pas de souffrance, juste une immense joie.

        Les cris du nouveau-né ne s’élevèrent pas. Tout le monde était attentif et attendait le premier pleur de l’enfant, mais celui-ci demeura résolument silencieux.

        Le village crut que le nourrisson n’avait pas survécu et laissa la mère seule, afin qu’elle décide elle-même de se montrer ou non. Cette dernière, accompagnée de l’elfe qui l’avait aidée à accoucher, traversa le village, l’enfant enveloppé dans un linge et serré contre son sein. Leur visage était fermé, inexpressif, et convainquit les habitants du tragique évènement.

        Elles se rendirent chez Dagnir. Ce dernier passait de plus en plus de temps dans la chaumière inhabitée qui lui avait servi de pièce d’isolement pour le transfert des ombres. Il était hanté par ces créatures, et il entendait toutes les nuits les dizaines de claquements qui avaient résonné. Le quartier avait été déserté par les autres villageois, car c’était là que résidaient auparavant la plupart des combattants défunts et il était devenu un lieu maudit pour les survivants.

        Orya présenta l’enfant à Dagnir. Il n’émettait aucun bruit et restait immobile, mais il n’était pas mort, en attestaient ses grands yeux qui épiaient les alentours. Il n’était pas conforme à l’idée que l’on se faisait d’un bébé. Il en avait l’apparence mais nullement l’attitude.

        L’homme prit le fils d’Orya dans ses bras.

        — Son nom ? interrogea-t-il.

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