Libre.
Arhen était libre.
Personne ne pouvait le contraindre à quoi que ce soit. Quand il avait faim, il chassait, selon son appétit, une perdrix, un cerf ou un buisson de myrtilles. Pourquoi se fatiguer à chasser l'auroch quand on peut se contenter d'un lapin au quotidien ? Quand il avait soif, il s'allongeait à plat ventre sur la berge pour boire l'eau du ruisseau, et quand il était fatigué, il s'allongeait sous un arbre pour dormir. La vie était un éternel été, quelque soit la volonté de mère nature. Mais l'été, Arhen n'allait pas tarder à l'apprendre, devait toujours laisser sa place à l'automne...
Arhen s'attendait si peu à ce que quiconque vienne un jour troubler sa bienheureuse quiétude, qu'il ne portait pas d'arme quand il n'était pas en chasse et n'avait jamais songé à protéger ses maigres possessions de la cupidité de ses semblables.
À dire vrai, il avait à peu près oublié qu'il avait des congénères quelque part. Son départ de la tribu de ses frères se faisait lointain. Il s'était laissé contraindre par ceux qu'il avait crus ses mais avant que tout n'éclate comme une cruelle mascarade. La honte, la crainte l'avaient conduit à se laisser faire et à quitter la tribu sans rien d''autre que ce qu'il avait sur le dos. À l'époque, il en avait beaucoup souffert ; ce n'était plus le cas à présent. Se faire rejeter de la sorte l'avait endurci, et désormais plus personne ne le battrait. Eviter les humains faisait partie de sa résolution : il est plus aisé de ne pas être en situation de conflit quand il n'y a personne en face.
Combien d'hivers avaient passé depuis qu'il n'avait vu un autre homme ? Il ne pensait plus pouvoir les compter sur les doigts d'une main, mais pas au-delà des deux mains, enfin, à ce qu'il pensait. Il était difficile de tenir le compte du temps passé quand les jours se suivaient et se fondaient dans un quotidien sans tracas. En réalité, il y a deux années de cela, il avait passé l'hiver avec un autre solitaire, un nomade (mais qui ne l'était pas ? ) qui avait repris sa route aussitôt la mauvaise saison passée. Autant passer ces nuits longues et froides en compagnie d'un autre être humain avait été agréable, autant le départ de Yurg n'avait pas attristé Arhen outre mesure. On s'habitue à la tranquillité au bout d'un moment, et partager ses quartiers d'hiver, une caverne somme toute assez exiguë, avec quelqu'un d'aussi attaché à ses habitudes que soi, pouvait s'avérer agaçant.
À dire vrai, Arhen n'aurait pas rejeté toute compagnie. Il était seul depuis longtemps et ses rêves se peuplaient de ces créatures qu'il n'avait pas pris le temps de connaître avant de quitter sa tribu : les femmes. Elles se paraient dans son esprit de formes gigantesques, opulentes, luxuriantes, qui le mettaient en émoi.
Il avait envisagé d'aller en capturer une pour en faire la sienne, selon la coutume, mais il n'avait pas la moindre idée d'où trouver une tribu, et il devait bien s'avouer qu'il n'était pas sûr que le plaisir d'avoir une femme à lui valait le coup, tout bien considéré. Cette femme, il faudrait la nourrir, lui tenir chaud, partager son espace avec elle. Et puis, il l'avait bien remarqué, où il y avait des femmes, il finissait, il ne savait trop comment, par y avoir des enfants. Dans sa tribu, il ne se passait pas une année sans qu'une de ses sœurs, cousines, tantes ou même sa propre mère voie son ventre s'arrondir et qu'un bébé hurlant en sorte quelques mois plus tard. Des bébés, très peu pour lui ; Arhen tenait à son calme et ne tenait vraiment, mais vraiment pas à devoir chasser pour une petite tribu.
Et pourtant, il continuait à rêver à ces mystérieuses représentantes de son espèce.
En attendant, en-dehors de cette envie inexplicable de rencontrer une femme, Arhen n'accordait que très rarement une pensée aux autres êtres humains. Ils ne le méritaient pas.
Ils ne méritaient tellement pas qu'on pense à eux, qu'il n'imagina pas une seconde qu'on puisse lui avoir volé quelque chose le jour où son outre disparut. Cela lui fit de la peine ; une si belle vessie soufflée, une véritable œuvre d'art qu'il avait fabriquée lui-même, avec une bandoulière en cuir. Il en était si fier qu'il avait presque été déçu de n'avoir personne à qui la montrer quand il l'avait terminée. Il pensa l'avoir perdue ou qu'un animal l'avait jugée appétissante et l'avait emmenée plus loin pour y goûter. Elle traînait sans doute quelque part, percée, abandonnée par la bestiole qui s'était rendu compte que le cuir n'était pas le meilleur repas qu'on pût rêver.
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Imbattable
General FictionArhen a toujours vécu seul dans sa vallée, isolé des tribus des autres humains. La vie est pour lui une succession de jours tranquilles et identiques, un véritable paradis. Jusqu'au jour où un intrus sur son territoire vient perturber ses habitudes...