Jenna ne me quitte pas des yeux. Elles pressent la tempête qui se prépare. Je me décroche de mes amis pour lui faire face sans peur.
— On allait s'envoyer en l'air en bonne et due forme. Vous voulez vous joindre à nous ? lancé-je, acerbe, faisant glisser mes iris bleus de ma grand-mère à Erik.
— Yseult, il serait grand temps que tu apprennes à tempérer ta langue, lâche le chef hibou.
— Vous êtes bien le seul à me le demander, continué-je en me léchant les lèvres, provocante à souhait.
Je suis tellement en colère contre ces deux êtres manipulateurs.
— Helin... Je suis grandement déçu par ce que je viens d'apprendre. Une jeune femme ne se comporte pas de la sorte : elle ne traîne pas son cavalier dans les bois pour... Enfin, tu sais très bien de quoi je parle, dit le père à sa fille sur le ton de la déception.
Ainsi Sören est bel et bien allé répandre son poison dans les esprits si simples des Anciens et des parents.
— Quant à vous, jeune Leroy, vous devriez faire plus attention à votre comportement. Si vous avez tant envie de vous battre, vous auriez dû vous inscrire aux Jeux, termine Jenna, ses yeux plantés dans ceux de Patrick.
Je lève les yeux au ciel. Comment pouvaient-ils croire sur parole cet abominable Sören, sans chercher à savoir la version d'Helin ou même la nôtre ?
— Donc pour vous c'est sûr, ce connard vous a dit la vérité ? Vous ne voulez même pas entendre ce que nous on a à dire ? demandé-je.
— Non. Vous allez revenir à la soirée et faire comme s'il ne s'était rien passé. C'est déjà bien que Sören ne souhaite pas convoquer le Grand Conseil pour ce que Patrick lui a fait et qu'il accepte de poursuivre les festivités au bras de ma fille. D'ailleurs, Helin, tu vas retourner auprès de lui immédiatement, quant à toi, Yseult, ton sort est entre les mains de Jenna.
— Il allait la violer. Si nous n'étions pas intervenus, il serait en train de VIOLER votre fille bordel ! Ça ne vous fait rien ? Ah non, vous avez l'habitude avec votre femme ! explosé-je.
— Yseult ! Comment peux-tu insinuer une telle chose ? Cesse donc de toujours t'emporter bon sang ! clame ma grand-mère.
J'ai les larmes aux yeux. Mon corps entier vibre de colère.
— Sören descend d'une excellente famille. Il est le chef des Guardiens, jamais il ne ferait une chose pareille. Il a toujours protégé son peuple au péril de sa vie. Il ne lèverait pas le petit doigt sur ma fille.
Leur manque de question quant à cette histoire me sidère. Qu'ont-ils dans la tête bon sang ?
— Je viens de vous dire à tous les deux qu'Helin allait se faire violer et c'est tout ce que vous trouvez à dire ? De me taire ? poursuivis-je. Vous avez donc si peu d'estime pour elle ? Votre fille ? terminé-je en regardant Erik.
Je sens la main d'Helin se glisser dans la mienne et celle de Pat se poser sur mon épaule. Ils voudraient que je cesse, mais je n'en ai pas fini.
— Vous devriez avoir honte, persiflé-je.
— Yseult, ce qui se passe chez les Luftstrøm ne nous regarde pas. Nous n'avons pas à juger.
— Oh que si, et je vais pas me gêner. Je sais très bien ce qu'il se passe. Ils ont promis Helin à Sören ! Vous êtes encore en train d'organiser un mariage forcé pour perpétuer la race ! C'est du grand n'importe quoi !
Je sens le souffle de ma meilleure amie se couper. On attend sa sentence : la réponse du chef de la Caste des Alizés.
— Comme vient de le dire Jenna, cela ne te regarde pas. Helin, nous partons. Maintenant, ordonne-t-il.
Je connais Helin. Elle ne va pas se rebeller et suivre son père sans esclandre. Elle n'est pas du genre à ruer dans les brancards. C'est mon truc à moi, ça. Je baisse les yeux, vaincue. Je ne peux rien faire. Absolument rien.
— C'est parce que vous la vendez telle une vulgaire pouliche que vous vous fichez que son futur mari la batte et essaye de lui voler sa dignité ? murmuré-je dans un souffle.
Erik se tourne vers moi. Le bleu de ses yeux est devenu aussi sombre qu'une mer déchaînée par la colère des Dieux. Je me grandis pour lui faire face.
— Tu mériterais une bonne correction pour ton impertinence.
— Je comprends mieux pourquoi il vous sied de léguer votre fille à la violence. Vous ne méritez pas d'être à la tête de la Caste des Alizés, craché-je.
Le chef hibou finit par se détourner, les poings serrés. Il agrippe Helin par le bras et ils disparaissent entre les arbres pour rejoindre la lumière de la fête.
— Patrick Leroy, partez. Yseult terminera la soirée avec le cavalier que je lui ai choisi. Ces sottises ont assez duré, tranche ma grand-mère.
Je jette un regard implorant à mon ami, mais ce dernier baisse les yeux. Il ne peut rien face à l'ordre de l'Ancienne. Il m'abandonne donc à mon triste sort. Une fois seules, ma grand-mère se lâche. Je me prends une gifle magistrale dont le bruit se répercute en écho dans les bois.
— Tu m'as fait honte Yseult ó Mordha.
— Yseult Clark. Ma mère a pris le nom de famille de mon père.
Une deuxième gifle tombe, rougissant ma joue. Une larme ne tarde pas à perler au coin de ma paupière. La haine qui déferle actuellement en moi n'a jamais été aussi puissante. J'en veux à la terre entière.
— Maintenant, tu vas...
— Je rentre, la coupé-je. Hors de question que je danse avec ton cerf d'Estonie. Jamais je ne me plierai à tes demandes farfelues. Je ne veux pas de mari. Pas d'âme soeur. Rien. Alors, garde tes grandes ambitions pour toi. Et si jamais tu oses me faire un coup bas à ce niveau-là, sache que tu me perdras à tout jamais.
Ma menace plane dans l'air. La forêt est silencieuse, seule la musique lointaine perce à travers les branchages épais des sapins.
— S'il y a bien quelqu'un qui devrait avoir honte de son comportement ce soir, c'est toi. En te taisant, tu perpétues la culture du viol. Tu sais comme moi qu'Helin, Pat et moi ne mentons pas. Sören ne se contrôle pas. Ce n'est pas la première fois que des histoires à ce sujet courent sur lui. Tout le monde le sait, mais tout le monde se tait parce qu'il descend d'une famille de druide, qu'il fait partie des Guardiens et qu'en endossant ses responsabilités il a promis qu'il ferait preuve d'honneur, de vertu et je ne sais quelle autre connerie... Tu me dégoûtes.
Sans un mot de plus, je me déshabille face à elle, prends ma forme animale et m'enfuis. Qu'elle aille se faire foutre.
Je galope dans les bois, droit vers le manoir de notre famille. Je n'ai qu'une hâte : retrouver la chaleur de mon lit, à l'abri du monde, dans mes draps. Je ne peux malheureusement pas pleurer. Cette manière d'évacuer les émotions fortes n'est réservée qu'aux humains. Bientôt, un froissement dans les branches me fait lever la tête et ralentir le pas : un écureuil roux me suit, sautant de branche en branche pour tenir la cadence. Je reconnais Pat. Je soupire de soulagement et continue ma course dans un trot soutenu. Ce n'est qu'une fois arrivée devant l'imposante bâtisse familiale que je m'arrête. Je reprends forme humaine instantanément et me tourne vers les arbres. Pat en sort à son tour, la lune se reflétant sur sa nudité. Le tracé de ses muscles embrasse la lumière. Il est beau.
— Je n'aurais pas mieux parlé à ta place. Tu as bien défendu Helin. Tu peux être fière de toi.
Toujours les bons mots. Je lui offre un sourire forcé. Je suis fatiguée. J'en ai marre de me battre pour nos droits. Nous avons beau être modernes sur certains points comme l'égalité des sexes par exemple... Il y en a d'autres qui continuent d'être ancrés dans les traditions.
— Malheureusement, ce n'est pas assez. Ces vieux croutons vont continuer à marier les jeunes sans leur consentement. Ils n'en ont rien à foutre. Ils ne pensent qu'à perpétuer les espèces. J'ai l'impression qu'on est dans un élevage gigantesque.
— C'est un peu ça...
— Au moins, tu as la chance de ne pas être fils de chef ou d'Ancien...
— Oui...
Il se rapproche et vient enrouler l'un de ses bras autour de moi. Je ferme les yeux un instant et me laisse aller, posant ma tête sur son torse brûlant.
— Quand-est ce que tu es devenu aussi sexy et viril ? demandé-je en souriant. Tu lui as explosé la face à cet idiot.
Il ricane, son menton posé sur mon crâne.
— Depuis quand il faut se battre pour être sexy et viril ?
— Tu marques un point, grogné-je en levant la tête vers lui. Mais sache que chez la plupart des animaux, les femelles préfèrent les mâles qui sachent se battre.
Nos yeux se perdent un instant les uns dans les autres. Le sourire qu'il me décoche me fait fondre le cœur. Doucement, tendrement, ses lèvres se rapprochent des miennes, jusqu'à ce qu'il les frôle. Durant tout ce processus, il ne dévie pas son regard, à la recherche du moindre signe qui pourrait lui indiquer que je ne veux pas de lui. Pat, il a toujours été un mec bien, respectueux et à l'écoute.
J'appuie ma bouche contre la sienne, avide de son toucher. Son étreinte se resserre autour de moi, amicale, chaude, protectrice.
— Tu veux monter ? murmuré-je contre ses lèvres, les yeux levés vers lui.***
Bon, on finit d'implanter le cadre... Les chefs de clans et les Anciens sont vraiment horribles. Il va être temps de changer ça.
On vous remercie pour vos retours et vos petites étoiles qui nous font chaud au coeur ! La suite est déjà bien implantée dans notre tête et on a tellement hâte de vous la partager ! On vous promet beaucoup d'action et d'aventure héhé !
VOUS LISEZ
La Traque de Beltaine
ParanormalAu-delà des brumes... Au fin fond du Canada... Caressé, embrassé, rongé, creusé par les intempéries, le Parc Naturel du Banff surgit des brouillards montagnards. Alors qu'Avalon a disparu, happé par la mer et entraînant dans sa submersion les antiqu...