Silence

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Déplacer notre esprit dans le corps d'un Commun entraîne la suppression de l'esprit de l'hôte. C'est pour cela que les Enchanteurs sont condamnés par la loi. Je ne sais ce qu'il se passe lorsqu'on subit un Enchantement contre son gré.

Personne ne sait où je suis. Ou personne ne veut me chercher. Le corps d'un Mage cesse de fonctionner quand on subit un Enchantement, mais il se conserve. Ils doivent s'être rendus compte que je n'étais pas mort. Ils doivent me prendre pour un fugitif.

Malgré tout, j'ai tout fait pour retrouver mon village. Aujourd'hui, mon long voyage m'a finalement amené ici. Je marche encore plusieurs minutes avant de remarquer ce subtil changement atmosphérique. Les rares Communs qui entraient dans notre zone devaient perdre connaissance en quelques minutes pour que nous les renvoyions chez eux, laissant croire à un rêve. Cela m'était égal. J'allais retrouver mes proches, je leur expliquerai tout et je retrouverai mon ancien corps bloqué dans le temps.

Mais je ne trouve personne. Seulement le silence.

La végétation intacte a dominé la pierre. Les escaliers sont détruits et notre belle arche n'a plus rien de sa superbe. Je m'avance un peu plus dans cette densité sauvage. À la vision de mon ancien village, les souvenirs refont surface. Je vois les enfants courir entre les maisons pleines de vie ; les couples danser à la lueur des feux la nuit ; les groupes d'amis se baigner sous le soleil ; mon père m'apprenant à parler aux arbres ; l'ambiance festive de chaque jour.
Aujourd'hui, le silence est assourdissant. Plusieurs bâtiments sont en ruine. Certains murs de pierre tiennent vaillamment, ici et là. Je me sens nauséeux. Je traverse ce qui reste des rues autrefois peuplées d'amis, pour arriver devant ma maison. « Il y a quelqu'un ? » criai-je sans y croire. Et toujours le silence.

Après avoir fait le tour de ces vestiges, je sors pour enfin me diriger vers cet endroit si spécial pour moi. Je marche plusieurs minutes, sous le soleil doré et la végétation omniprésente, me sentant de plus en plus lourd. Finalement, j'écarte les dernières feuilles, et je retrouve mon havre de paix. Une belle cascade qui se jette dans un petit étang. Cet endroit semble intact. Je venais ici toutes les semaines avec Norah. On riait, on se baignait, on observait les étoiles, on parlait. Comme si nous étions les maîtres du monde. Puis elle s'est montrée de plus en plus distante, après la prédiction qu'elle a reçue à son anniversaire. Elle n'osait même plus me regarder. La reine n'était plus. Je soupire. Je contemple cet espace, un sentiment de nostalgie grandissant. Norah...

Mes yeux se posent sur un cercueil artisanal. Probablement le mien. Je me dirige laborieusement vers lui et l'ouvre. J'y trouve mon ancien corps, intact. C'est le seul que j'ai trouvé. Il n'y a plus personne. Cela fait deux ans que j'ai quitté mon village, mais il semble être vide de vie depuis des siècles. La pierre fendue et cassée de toute part, les animaux disparus, les plantations couvertes de pierres, les maisons détruites. Que leur est-il arrivé ? Des étoiles dansent devant mes yeux qui peinent à rester ouverts. Je me rends compte que je suis toujours dans le corps d'un Commun. Personne ne m'a accueilli pour inverser le Déplacement ; seulement le silence. Je dois sortir d'ici. S'il n'y a plus personne pour me renvoyer « chez moi », que deviendrai-je ? Le cœur lourd, je cherche la direction que j'ai prise. Le soleil est aveuglant. Mes pieds ne m'obéissent plus, et je tombe.

Puis plus rien. Seulement le silence.

Papier d'étoilesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant