À mi-chemin entre Mad Max et Le Transperceneige, Nelly Chadour vous invite à suivre Furette dans une course poursuite effrénée à travers les quartiers de Caraville, immense ville roulant sans cesse dans une fuite éternelle, car Le mouvement, c'est la vie, l'inertie, c'est la mort.
Caraville
Cette nuit encore, je rêve que je cours à perdre haleine sur le ruban noir de la Route. Trop loin devant moi, la poussière soulevée par Caraville ne me paraît pas plus grosse qu'une fleur grise. Mes pieds tapotent misérablement sur l'asphalte. Derrière moi, je sens déjà le souffle brûlant de la Grande Fournaise. Je ne veux pas mourir. Je cavale sans me retourner. L'adage de notre cité est répété jusqu'à la nausée par mes lèvres desséchées :
Le mouvement, c'est la vie, l'inertie, c'est la mort.
Le vent enflammé qui nous suit depuis des siècles va se saisir de moi et me carboniser vive si je ralentis. Je le sais, c'est l'erreur que j'ai commise la première fois que j'ai fait ce rêve : j'ai regardé en arrière, un simple coup d'œil rapide. Mais c'était déjà trop. Une gigantesque lame de feu m'a submergée. La douleur happant ma peau et mes poumons a été si abominable que je me suis réveillée en hurlant ma souffrance. Il a fallu des jours pour m'en remettre, pour oser enfin fermer l'œil.
Mais il y a eu d'autres nuits où je me suis retrouvée à courir, pantelante, sur la Route. Des nuits entières passées à sentir les vibrations de mes pas résonner dans mon corps trop frêle tandis que les rumeurs d'un mugissement de flammes derrière moi accéléraient ma respiration. Des nuits à cavaler jusqu'à me réveiller.
Et cette fois-ci encore, je ne me retournerai pas. Je sais qu'il est inutile de courir à m'en cramer les semelles sur la route goudronnée, mais je préfère mourir d'épuisement plutôt que de me laisser rattraper par la tempête ardente.
Pour la première fois dans ce rêve, cependant, quelque chose se dresse au milieu de ma route. Je mets du temps à me rendre compte de ce que c'est. Je ne veux pas prendre conscience tout de suite de ce que je vois : l'automaison de Maman, immobilisée au milieu du ruban noir, les roues comme engluées dans le goudron. Le moteur a lâché. Je vois Maman s'agiter sur son fauteuil, tentant de redémarrer le vieux véhicule rouillé sur lequel moi et les autres gosses avons peint de grosses fleurs et des nuages de pluie. Je vois mes frères et sœurs adoptifs : Agnelle, Boudin, P'tit Con, tous les marmots et même Ombre. Ils se pressent contre les vitres sales. Ils semblent ne pas m'avoir remarquée, mais je les vois hurler en silence. Sur les vitres se reflètent les phosphorescences brûlantes de la Grande Fournaise. Je crie des insultes contre les salauds de Caraville qui nous ont laissés à la merci des flammes. Je maudis les Saints-Véloces qui ne nous protégeront pas. Je tente d'ouvrir la portière arrière pour évacuer tout le monde.
Dans mon dos, la sueur s'évapore brutalement.
Le souffle ardent de la Grande Fournaise me cloque la peau, fait fumer mes vêtements. Lorsque je parviens enfin à ouvrir la portière, j'ai juste le temps d'apercevoir les yeux exorbités de mes frères et sœurs qui se tournent vers moi avant que tout ne soit englouti dans une lumière orange et brûlante comme la rage...
Et je pousse un cri en tressaillant sur ma couchette.
- C'est vraiment pas le moment pour les coups de stress, Furette ! me crie Maman.
Sa voix est tendue à craquer et elle est crispée sur le volant, scrutant le tableau de bord puis ce qui se passe à travers le pare-brise. La sueur coule sur ses joues rebondies et colle ses cheveux bouclés à sa peau rose. Le capot est relevé et je crois distinguer des mouvements derrière.
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L'Homme de demain
Science Fiction16 récits de l'utopie au cauchemar. Lectrices, lecteurs, vous tenez le destin de l'humanité entre vos mains ! À défaut de vous en lire les lignes, Les Artistes Fous Associés jouent les Nostradamus à l'occasion de leur quatrième anthologie, dédiée au...