Paradise4 (Émilie Querbalec)

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 Dans un monde où une terrible maladie touche une grande partie de la population, attendre un enfant est une angoisse… L’enfant sera-t-il sain ou héritera-t-il de la maladie ? Après la maternité dans Coccinelles (in Folie(s), 2014), Émilie Querbalec nous invite ici à explorer la paternité.

Paradise4

4h30, j’émerge. Une vibration lancinante, au creux de mon poignet, m’a tiré du sommeil. Je repousse ma couverture et lève mon bras gauche. D’une caresse, j’active mon InCom. Les cristaux organiques s’animent en un dégradé élégant, et le visage de Jun s’affiche à même ma peau :

— C’est pour bientôt, chéri.

Je fais une grimace, qui se veut sourire.

— Pour quelle heure ?

Elle vérifie les chiffres, ses prunelles vont et viennent. Elle relève les yeux :

— Six heures, sept tout au plus.

Je lui promets de faire vite, nous échangeons un baiser – mes lèvres sur les siennes, à travers l’interface sensorielle. Je reste allongé un moment, sans allumer. Les flashs d’info défilent sur mon InCom. Attaque-surprise de la base de lancement de Kourou… Prise d’otage… Des silhouettes cagoulées et armées, en treillis de combat, s’agitent. J’effleure mon poignet, les images s’éteignent. Mes idées flottent dans le halo blême des écrans qui encombrent la pièce. J’ai l’estomac noué… le trac, sans doute, voire un début de panique. Je songe à cette chose, dans le ventre de ma femme. Notre fils. Vingt-trois paires de chromosomes pour perpétuer l’espèce. Je n’étais pas sûr de vouloir, elle, si. La Vie doit continuer.

4h46, Seb est là, pour la relève. L’air défait, le teint hâve, cheveu gras. Les nanos l’ont bouffé, lui aussi. Il est en train de mourir. Il sort un objet en acier de sa blouse tachée.

— Je t’en ai mis assez pour abattre une armée, vieux. C’est de la bombe, plus pure que neige !

Je saisis le tube du bout des doigts, je le soupèse, je l’examine. Un mécanisme astucieux permet d’en extraire les gélules, une pression en tournant l’autre extrémité.

— Comment te remercier… ?

Il m’adresse un clin d’œil complice :

— Me remercie pas, mon gars. Sois heureux, c’est tout ce que je te demande.

Je ne trouve plus rien à dire. Il rigole :

— Allez, fais pas cette tête ! Tu vas être père ! C’est quand même quelque chose !

J’empoche le pilulier.

— Et au fait ? continue-t-il.

Il inspecte le contenu du minibar.

— T’as les dernières infos ?

Il attrape une bière et la décapsule avec les dents, recrache la languette de métal. Sa bouche fait un rond, comme s’il allait pondre un œuf.

— Clean Life ! Ils ont réussi à rentrer dans la base de Kourou.

Je hoche la tête :

— Ils sont dingues.

Seb rigole. Lampe une gorgée et fredonne :

— Un monde pur et beau, pour tous.

Son rire retombe comme un soufflet trop cuit. Il toussote, fait mine de s’intéresser aux écrans de contrôle.

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