Se Retrouver [ Édité ]

Prologue

Les deux amis étaient assis côte à côte sur un immense tas de paille et regardaient sans vraiment les voir les chèvres, qui broutaient dans leur enclos, méditant chacun sur ce qu'ils s'apprêtaient à vivre.

- Ça te manquera tout ça, hein ? demanda Baptiste.

- Un peu. Beaucoup, peut-être, avoua Louis avec un sourire déjà plein de mélancolie. Mais nous ne partons pas indéfiniment.

- C'est vrai, acquiesça Baptiste. Tu penses que cette fois c'est la bonne ? Rien ne viendra foutre en l'air notre départ ?

- Promis.

En réalité, au fond de lui, Louis s'en voulait de faire une promesse qu'il n'était pas certain de pouvoir honorer. Cela faisait déjà deux fois qu'il reportait son départ avec Baptiste et ce dernier commençait sérieusement à s'impatienter.

La première fois que leur voyage avait été annulé c'était parce que Louis avait veillé toute la nuit sur Azéle, la vache qu'il avait vue naître et qui avait donné naissance à un veau avec difficultés. Il s'était endormi au petit matin et avait raté le rendez-vous avec Baptiste, qui paniqué s'était empressé de débarquer à la ferme. Furieux et à la fois attendri par l'attachement qu'éprouvait son meilleur ami envers l'animal, il ne lui en avait pas tenu rigueur longtemps après avoir obtenu des explications.

La seconde, qui datait déjà d'il y a plusieurs mois, était lorsque le père de Louis déjà plus tout jeune, était rentré d'un bilan de santé avec de mauvaises nouvelles. Impossible de partir et de laisser sa mère se démener à la ferme avec pour seule aide son frère et sa sœur qui avaient - à son sens - deux mains gauches. Entre les visites scolaires, les animaux, le potager et toutes les autres tâches à effectuer quotidiennement, il n'avait pu se résoudre à les abandonner.

Aujourd'hui, son père conservait des traces de fatigue et gardait une santé fragile, mais il avait recommencé à travailler et la vie avait repris son cours à la ferme. La seule ombre au tableau, et dont Baptiste n'avait pas connaissance, était que Louis n'avait parlé à aucun membre de sa famille à propos du fait qu'il comptait mettre les voiles, même l'histoire de quelques semaines. Ou plus s'il aimait ce qu'il allait découvrir. Il avait bien trop peur de les décevoir quand ses parents voyaient en lui leur successeur.

S'il aimait le calme de cet endroit, les animaux et sa famille, il désirait aussi penser à lui et faire autre chose de sa vie. Après tout, personne ne lui avait demandé son avis. Il n'avait pas souhaité naître ici, dans cette petite ville de campagne, au milieu des chevaux, chèvres et moutons. Lui, il aspirait à explorer le monde avant de décider quoi faire, avec Baptiste bien entendu.

À l'âge de vingt ans, Louis pensait qu'il était encore parfois trop tôt pour décider quoi faire de sa vie. Il n'avait aucune certitude quant à l'avenir. Tout ce dont il avait conscience était qu'il voulait simplement s'évader afin de peut-être se trouver et trouver sa voie.

Le souci était qu'il savait qu'en partant et en les prévenant au dernier moment, il allait les décevoir encore plus. Dans sa tête se livrait une rude bataille pour un jeune homme de son âge. C'était, à son sens, choisir entre abandonner les siens ou Baptiste. Comment faire un choix entre les personnes qui comptaient le plus pour lui ? Comment décider s'il allait laisser derrière lui, même temporairement, ses parents ou voir filer son plus vieil ami ?

Louis aurait voulu que la réponse soit simple. Il aurait souhaité ne pas devoir prendre de décision. Cependant, quand il y réfléchissait vraiment, ce voyage n'était pas uniquement un prétexte pour s'évader de sa cambrousse. C'était l'occasion qu'il attendait. Il priait afin de trouver le courage d'avouer à Baptiste qu'il était amoureux de lui depuis qu'il avait compris ce que signifiait le verbe « aimer ».