Jour 1

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Baptiste n'était pas surpris de l'accueil reçu, néanmoins, il y avait une chose assez étonnante pour qu'elle soit notée : la fuite de Louis. Il ne se souvenait pas que se sauver à demi en courant était son genre, mais il fallait aussi avouer et accepter qu'en presque onze ans les gens changeaient. Il avait conscience qu'il n'était lui-même plus le jeune homme de vingt ans qui avait tourné le dos à la campagne. Même son apparence et sa façon de s'habiller étaient à l'opposé de ce qu'il était à l'époque. D'ailleurs, il allait vite devoir passer une autre tenue s'il voulait que celle-ci survive à une journée à la ferme. Il avait parcouru cet endroit des centaines de fois et sûr que ses précieuses chaussures ne tiendraient jamais le coup.

Physiquement, si ce n'était sa chevelure plus longue et la fatigue qui se manifestait sous la forme de cernes sous ses jolis yeux, Louis était resté le même. Il était désormais un homme, cependant, il émanait toujours de lui ce petit quelque chose qui avait fait craquer Baptiste dans le temps et qu'il ne parvenait pas plus à nommer aujourd'hui qu'avant. Se perdre dans les iris azur de Louis lui avait donné l'impression de ne jamais l'avoir quitté. Son regard demeurait aussi intense et expressif qu'autrefois et avait fait battre son cœur aussi vite que quand il avait dix-huit ans. D'autres l'avaient fait, certes, mais bien moins que lui.

Comment oublier une personne qu'on a aimé si fort et à qui on songe toujours le soir en se couchant ?

Si la réponse existait, Baptiste ne l'avait pas trouvée. D'ailleurs, il n'était pas certain de la vouloir. Tirer un trait définitif sur Louis signifiait tourner le dos à une partie de sa vie qu'il chérissait autant qu'elle lui était douloureuse et durant de longs mois, c'était ce qui l'avait fait vivre. Souffrir, ça voulait dire ressentir quand il avait cru ne plus être capable de rien lorsque les portes du train s'étaient refermées sur Louis. Baptiste avait vu ses lèvres bouger sans saisir les mots prononcés. Sans doute était-ce mieux comme ça...

En suivant la foule jusqu'aux dortoirs, où les jeunes allaient choisir leur chambre et ranger leurs affaires, Baptiste finit par se faire la réflexion que Louis était quand même sacrément culotté. Bien sûr qu'il était parti sans lui et jamais décision n'avait été plus compliquée à prendre. Malgré tout, il ne pensait pas être le seul fautif concernant la fin de leur amitié. C'était pourtant ce que la réaction de son ancien meilleur ami laissait croire et cela ne lui plaisait pas du tout. Le temps était probablement venu d'entamer la conversation qu'ils n'avaient jamais pu avoir tous les deux. Le problème, c'était qu'il ne connaissait plus Louis et qu'il n'avait aucune idée de la manière dont il devait s'y prendre.

Au fond de lui, il savait qu'il se mentait en pensant cela, mais Baptiste se disait que s'il avait pu faire autrement, il se trouverait n'importe où sauf ici. Revenir à Desvres était une chose, évoluer dans cet endroit durant quinze jours et côtoyer Louis quotidiennement durant ce laps de temps en était une autre.
Car il souffrait déjà avant même d'avoir posé un pied hors du bus et il n'osait songer à ce que ce serait quand il partirait encore une fois.
Il n'avait que très peu dormi la nuit précédente, hanté par des souvenirs heureux et pénibles à la fois. Pourtant, afin de rendre ce séjour plus agréable, il était prêt à faire des efforts et à se comporter comme l'adulte de trente ans qu'il était censé être. Il déambula quelques minutes avant de pénétrer, sans bruit, dans la partie du domaine où se trouvaient les différents étables. Si son instinct ne le trompait pas, s'il subsistait un peu de l'ancien Louis, alors c'était là qu'il le trouverait. Tous les animaux n'étaient pas dehors et évidemment, c'est dans le box où aurait dû se trouver Azéle qu'il aperçut Louis.

Une énorme vague de nostalgie l'envahit tandis qu'une partie de sa vie défilait devant ses yeux. Si l'on disait qu'avec le temps les blessures guérissaient, les siennes, qui avaient mis très longtemps à se refermer, étaient à présent de nouveau béantes. Son cœur saignait de se remémorer à quel point cela avait été merveilleux d'être le meilleur ami de Louis et à quel point l'aimer avait été facile.
Baptiste le regardait s'affairer, beau même dans cette tenue hideuse, et une petite voix lui souffla qu'il pourrait une fois encore tomber amoureux de Louis. Si seulement il avait un jour cessé de l'être...

Se Retrouver [ Édité ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant