𝟐𝟖𝟕𝟐 𝐌𝐈𝐋𝐄𝐒 [𝐂𝐢𝐞𝐥𝐨𝐢𝐬]

11 | 𝐖𝐎𝐎𝐃𝐘 𝐒𝐘𝐌𝐏𝐇𝐎𝐍𝐘

Les grondements du tonnerre surgirent peu de temps après la division du groupe. Ciel gagea qu'il ne s'écoulerait pas deux minutes avant qu'une pluie d'éclairs ne s'écrase sur l'endroit où il stationnait. Évidemment, se perdre en pleine forêt ne rimait à rien si son karma n'y ajoutait pas quelques complications. Bien qu'il avait trouvé la force de relativiser, ce qui était lunaire quand on connaissait son pessimisme démesuré, la météo se chargerait toujours de lui rappeler qu'il était né sous une mauvaise étoile.

Mais l'averse, qui avait repris de plus belle depuis un quart d'heure, présenta l'avantage de l'éloigner quelques temps d'Alois, s'étant alors volatilisé comme par magie.

Partant en quête de nourriture, Ciel lutta contre les torrents de boues qui encrassaient ses bottes et avança sur le sentier dessiné entre les arbres. La pluie s'immisça dans son ciré, lui arracha des protestations et il faillit valser par terre à force de se tordre comme un ver à l'agonie. Comme si cela ne suffisait pas, le vent glaçait son minois trempé. Il allait sûrement tomber malade. Tout ça pour remplir le ventre de ces morfales ! Qu'est-ce qu'il ne fallait pas faire pour s'adapter dans cette foutue colonie.

Alors qu'il bifurqua à droite pour contourner un séquoia aux racines volumineuses, une douce mélodie happa ses oreilles. À quelques mètres de distance, il retrouva Alois. Ce dernier était assis sur une pierre, lui tournant le dos, se séchant à l'abri d'un arbre, ou tentait vainement d'y parvenir. Rien n'aurait eu de quoi le perturber si l'androgyne n'avait pas été en train de chanter à tue-tête un titre phare des Eagles, se croyant seul dans le secteur.

"On a dark desert highway, cool wind in my hair
Warm smell of colitas, rising up through the air
Up ahead in the distance, I saw a shimmering light
My head grew heavy and my sight grew dim
I had to stop for the night"

Les lèvres tordues par un sourire fugace, le bleuté l'observa sans oser le déranger, ne s'autorisant pas à rire de cette scène si mignonne. La voix du blond se jumelait aux paroles avec harmonie. La justesse des notes qui émanaient de ses cordes vocales détonnait dans l'air électrique avec une musicalité singulière. Comme muni d'une conscience propre, le tonnerre s'était stabilisé en arrière-fond et faisait œuvre de basse. Les calpotis de la pluie qui pianotaient sur la terre humide y ajoutait une nuance plus claire. Les sifflements du vent dans la végétation se métamorphosaient en véritable instrumental telle la grâce d'une clarinette ou la fluidité d'un saxophone. C'était comme si la nature s'accordait pour sublimer la voix d'Alois et lui offrir un chœur digne de sa préstation. Un tableau émouvant que la rétine de Ciel immortalisa.

"There she stood in the doorway;
I heard the mission bell
And I was thinking to myself,
"This could be Heaven or this could be Hell"
Then she lit up a candle and she showed me the way
There were voices down the corridor,
I thought I heard them say..."

Avec précaution, le bleuté s'approcha dans des pas furtifs et mesurés puis se glissa derrière un tronc pour continuer sa séance de voyeurisme. En scrutant avec plus d'attention le visage du garçon, il nota un changement par rapport à d'habitude. Le regard de l'androgyne brillait d'une intensité si violente qu'il en eut des frissons. Ses lèvres en cœur s'écartaient et se joignaient au fil des mots qu'il prononçait, sa semelle gaucha battait la mesure avec vivacité, ses doigts claquaient sans s'arrêter. Devant lui, ce garçon qui respirait la passion n'avait plus rien de similaire avec le petit piaf insaisissable auquel il avait eu affaire jusque là. C'était un autre Alois.

"Welcome to the Hotel California
Such a lovely place
Such a lovely face
Plenty of room at the Hotel California
Any time of year
You can find it here"