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C'était le chaos d'un samedi comme les autres, et Jeongguk fourmillait au sein du marché. Son genoux grinçait et aucun mouvement ne semblait pouvoir soulager l'articulation. Alors il clopinait discrètement et valsait parmi les couteaux, les écailles et les boîtes.

Il pensait qu'il couvait quelque chose, le mal de tête et la fatigue lui en disaient tout autant. Alors il était sous son masque blanc et la fraîcheur du marché séchait la sueur qui perlait sur son front.

"Jeon-san."

Il se tourna vers Atsuko qui tanguait jusqu'à lui.

"Allez aider Tsujimoto-san avec le thon, il sait pas où est passé Okuhara-san. Il nous revaudra ça."

"Entendu."

Monsieur Tsujimoto avait les sourcils froncés et agitait une gorgée de thé dans sa bouche. Quand il aperçut le jeune homme boiter jusqu'aux gigantesques thons étalés sur les tables en bois, il s'écarta de la table sur laquelle il était appuyé.

Ils se saluèrent et sans plus de cérémonie, l'homme lui tendit un maguro bōchō aiguisé. Même si la maison Sugawara n'achetait ni ne vendait de thon, Jeongguk avait appris à le découper en aidant une échoppe par ci et par là et par sa curiosité débordante lorsqu'il n'était que livreur. La plupart des poissonniers ici étaient d'une gentillesse débordante, surtout lorsque cela concernait leur métier et l'apprentissage des ficelles pour la relève.

Alors, avec maîtrise et dextérité, Jeongguk aida à trancher le thon sur sa longueur, à maintenir l'autre partie lorsque toutes les chairs et les os n'étaient pas encore rompus. Il observait d'un œil curieux, Monsieur Tsujimoto récupérer d'un mouvement du pouce les miettes de chair qui s'accumulaient sur la lame. Il les laissait fondre sur sa langue et puis s'éloignait pour prendre une nouvelle gorgée de thé, pensif. Jeongguk continuait alors la découpe dans une précision qui redoublait quand cela concernait le thon.

Jeongguk comprit que la qualité du poisson était parfaite lorsque les morceaux disparaissaient à mesure qu'ils les tranchaient. Tout était déjà vendu.

Après avoir rôdé autour des morceaux avec fierté, le patron finit par s'écarter et salua les restaurateurs et les chefs qui faisaient leur marché.

Park était là. Il discutait avec sérieux autour d'une tasse de thé. Quand Jeongguk se redressa et nettoya la longue lame, leurs regards se croisèrent et leur tête s'inclina discrètement pour se saluer.

Quand le blond était là et que Jeongguk le savait, il lui était compliqué de ne pas y penser. Il devait se retenir de laisser traîner ses yeux pour surveiller l'avancée de l'apollon à travers le long couloir. Il était aux moules chez Kamachi, puis au poisson blanc de Ijiri, peut-être quelque minutes, une dizaine. Et alors que Jeongguk quittait la maison Kajihara pour retourner à ses rangs, il maudissait le temps restant jusqu'à ce que Park l'atteigne.

Il n'avait pas vraiment admis la légère obsession qu'il entretenait envers le chef.

Il ne cherchait pas à l'admettre non plus.

Refusait de mettre des mots sur ces mains qui mourraient d'envie de parcourir le corps et le visage ; ces désirs de faire rire et de charmer, ces pensées invasives et envahissantes, ce venin d'attirance qui renversait la réalité en kaléidoscope d'amour.

À quoi bon ?

Jeongguk aimait le brouillard des sentiments et le chef Park l'y noyait.

***

"On a de superbes madai de Ehime."

"Ah oui?"

Le chef était trempé de la tête au pied et Jeongguk l'avait observé ruminer l'idée d'avoir fait le chemin à vélo à mesure qu'il progressait dans la fourmilière. Quelqu'un lui avait donné une serviette pour s'éponger et il se baladait dans le marché, dans une confiance et familiarité gagnée par les mois, enveloppé comme le plus beau cadeau que Jeongguk pouvait rêver.

UMAMI. ::jikookOù les histoires vivent. Découvrez maintenant