Ce fut le sifflement d'alerte de leur capitaine qui réveilla Snor et ses compagnons, blottis dans leurs capes au sommet de la tourelle. Conditionnés par les exercices quotidiens de leur entraînement, ils dégainèrent leurs arcs et scrutèrent les environs. Cela, leur capitaine, dont c'était le tour de guet, le faisait déjà. Son expérience au combat ne se faisait plus prouver par ses nombreuses cicatrices, son absence de moustache et de queue, et son cache-oeil. Ordinairement les recrues comme Snor lisait dans ses yeux de l'audace, du courage, des sentiments qui éveillaient l'héroïsme. Mais lorsqu'il tonna de sa voix froide ses instructions, les soldats ne virent en ses yeux qu'une nervosité mal dissimulée derrière son habituel flegme.
Il énonca alors la situation :
« J'ai vu une silhouette se faufiler dans les arbres derrière la Nawy. Cela me semble être un félin sauvage, mais il peut rester très malin. Il a essayé de s'approcher, mais dès qu'il a posé un pied dans la Nawy, je lui ai tiré quelques flèches dessus. Pas de nouvelles depuis. Snor, tu prépares l'issue de secours. Les autres, bandez vos arcs et scrutez les environs. »
Les soldats s'armèrent de leurs capes, de leurs arcs, piques, et autres armes et se postèrent sur la muraille. Snor monta par l'échelle sur les branches de l'arbre adjacent. Leur tour de guet avait été construite il y a bien longtemps le long d'un tronc d'un hêtre, symbole d'une alliance entre leur peuple et le peuple des corbeaux, qui se chargeaient de transporter les souris en cas d'urgence seulement. Ce pacte faisait plus sens il y a plusieurs décennies lorsque les attaques contre la cité étaient plus nombreuses, mais il était encore en vigueur aujourd'hui.
Snor put donc réveiller sans encombre un corbeau qui accepta sans broncher de le ramener à la cité en cas d'urgence. Elle profita de la hauteur pour regarder autour d'elle : face à elle, la Nawy, et du reste, d'immenses champs de blé qui peuplaient la région. Elle savait aussi qu'à sa droite prospérait la cité de Fievel. Sa cité.
Pendant ce temps, la petite souris entendait ses camarades s'interroger sur les ordres :
« - Est-ce vraiment nécessaire, capitaine ? La cité n'a pas attaqué depuis des années, la région est tranquille.
- Et elle le restera sous mon commandement. Vous avez déjà vu un loup adulte ? Il pourrait avaler en une fois toute notre garnison. »
Alors que la plupart de ses frères d'armes portaient désormais un regard angoissé vers la Nawy, Snor redescendait sur la muraille pour sortir elle-même son arc, et attendre. Le capitaine vint la voir :
« - Tu sembles ne pas tenir en place, Snor. Comment te sens-tu ?
- Aujourd'hui, c'est mon jour. Nous repousserons cet animal. Si seulement il osait se montrer !! Et ce ne sera que le début de ma carrière, et de mes exploits. »
Le regard du capitaine devint celui du mentor. Il caressa la souris sur la tête et grogna :« - Tu n'as pas changé, depuis l'entraînement. Je suis fier de toi.
- Merci capitaine.
- Fais attention.
- Je serai vigilante. Et quand la bataille sera terminée, nous irons boire du sirop à la taverne ensemble !
- J'y compte bien !Snor opina. Elle retourna à son poste, scrutant la forêt au-delà de la Nawy. Elle entendit le capitaine leur faire, à elle et ses camarades, un grand discours sur le devoir. À ces mots, Snor n'avait qu'une image en tête : elle chargeant la bête, cherchant à la décapiter, comme un jour le légendaire porteur de la hache ébène avait vaincu un ours en combat singulier. Le peuple de la cité indépendante du peuple Souris l'avait vénéré, au point de lui ériger une statue. Snor avait été bercé des légendes du porteur de la hache, mais aussi de la compagnie aux grandes oreilles et de leur guerre contre le peuple des belettes, ou encore de la souris ailé, qui dit-on avait utilisé de son Don pour s'envoler aux côté des oiseaux migrateurs, et s'allier aux peuples du Sud. Elle ne s'était exercée qu'au seul but de défendre sa cité, et de monter à la hauteur de ces légendes.