Le lendemain matin, notre groupe se rendit sur le pont surplombant la Nawy. Là-bas était affrété leur moyen de transport, et posé sur le pont cinq fioles et une quantité impressionnante de corde.
Il s'agissait d'un immense banc de poissons extrêmement serré entre eux, si bien qu'à première vue ils formaient un seul et unique grand poisson. Les mammifères furent plutôt surpris en voyant la créature se diviser en petites bêtes. À l'unisson, elles expliquèrent le fonctionnement du transport :
« Nous sommes les frères Benck, et nous vous escorterons jusqu'à la mer, si tel est votre désir ! Nous vous prions d'attacher vos bagages fermement à vos corps avec les cordes que nous avons mis à votre disposition. Par la suite, buvez chacun le contenu d'une fiole. Enfin, sautez à l'eau. Bon voyage à votre compagnie. »
Brees et Dauw furent les premiers à s'emparer des fioles. Brees l'avala goulûment, tandis que Dauw la renifla avec délicatesse. Après quelques secondes, des fentes se dilatèrent sur la peau de leurs cous, trois de chaque côté. Effrayés, les plus jeunes s'écartèrent, tandis que la tortue roula des yeux en s'écartant, préférant attacher à elle son coffre avec toute la corde disponible.
Dauw toussa, puis s'adressa au banc :
« - Excusez-moi, frères poissons, pouvez-vous m'expliquer le fonctionnement de ces potions ?
- Ils vous font pousser temporairement un système de branchies. Vous en reprendrez toutes les heures, mais nous ferons des pauses. Finissez de vous préparer, le voyage commence dans quelques instants.
- Ne faudrait-il pas imperméabiliser nos bagages, demanda Brees ?
- Les cordes sont enchantées pour le faire, répondit le banc. »
Le reste du groupe but les potions et entreprit d'attacher ses bagages, tandis que la tortue refusa de boire le contenu de la fiole, maugréant :
« Je sais pas ce qu'il y a là-dedans, je retiendrai ma respiration. »
Sur ce, le groupe fit face au puissant courant de la Nawy, les flots déchirant les autres flots dans un tonnerre de bruits.
On pouvait apercevoir le banc sous la surface de l'eau, les attendant. Il ne restait plus qu'à sauter.
Alors que Soot regardait le torrent, il entendit son maître dire :
« - Le temps s'est bien assombri.
- Dauw, gronda Brees, ne change pas de sujet. On doit sauter. »
Le druide toussa pour se redonner de la contenance, alors que Snor semblait attendre le signal de sa supérieure. Soot regarda les vagues, et imagina ce qu'il pouvait se cacher en dessous. Il ferma les yeux et revit les crocs de la tortue. Il sentit une douce patte se poser sur son épaule.
Brees le regarda en souriant, déclarant :
« - Tu te souviens des branches ? C'est pareil. Faut pas réfléchir. »
Le souriceau hocha la tête, et attendit que Brees saute.
Il la suivit en hurlant, et vit Snor sauter en même temps, et son maître et la tortue suivre du coin de l'œil. Il ferma les yeux. Rien ne se passait.
Puis une immense éclaboussure l'assaillit et l'engloutit.
Il ouvrit les yeux sous l'eau, et aperçut des milliers d'écailles l'entourer comme une armure. Le banc de poissons le contenait en son sein, et le faisait avancer avec eux, comme si il était l'un deux.
Le plus étrange était la sensation de l'eau pénétrer sa bouche et ses branchies. Ordinairement, c'était une sensation étouffante, oppressante, cependant, désormais il avait l'impression de respirer l'eau : elle le traversait et l'acceptait, le faisant rentrer dans cette danse qui avait commencé dans une source au sommet d'une montagne, et se terminerait dans le sel et l'immensité.