Le jour suivant, Les souris se réveillèrent en même temps que la tortue. Snor, qui avait tenu le dernier tour de guet, s'approcha avec sa lance. Elle déclara, du ton aussi aimable qu'elle put :
« - Nous nous apprêtons à petit déjeuner. Vous pouvez vous joindre à nous, si vous voul-
- Non.
- Voudrez-vous voyager avec nous, aujourd'hui ?
- Va manger, la souris. Je t'ai rien demandé. »
Décontenancée, une fois de plus, Snor rejoignit son campement et expliqua les paroles de la tortue. Dauw, qui se préparait une nouvelle pipe, demanda, amusé :
« - Tu essayes de dialoguer arme à la main ?
- Je lui montre que je sais me défendre !
- Et à raison, ajouta Brees, qui faisait cuire du bacon. Elle est imprévisible. Je me rappelle encore des frissons que j'ai eu en l'amenant au Conseil.
- Mesdames, si l'on veut danser, il faut toujours faire un premier pas, répondit Dauw en marchant vers la tortue. »
Il se dirigea donc vers elle, un croissant à la main.
Il réussit à capter son attention et lui tendit le croissant. Elle le jeta dans la rivière. Loin de perdre son enthousiasme, Dauw recula en sautillant. Puis il se planta sur place et prononça quelques mots. La tortue se tourna vers lui. Elle répondit, puis commença à préparer ses affaires.
L'air satisfait, Dauw retourna vers sa troupe. Snor murmura à Brees :
« - On dirait que ses mots sont des clés.
- Je suis sûr qu'il y a de la magie, là-dessous, grommela Brees.
- On dit le Don, cria Soot, pourtant plongé dans ses lectures.
- Mesdames, Monsieur, je suis heureux de vous annoncer que notre chère tortue se rend à la forêt de Griev ! Elle nous accompagnera donc sur une grande partie du chemin. Pour l'instant, elle nous suit jusqu'à Skala.
- Que trouverons-nous là-bas, demanda Snor ?
- Un port, évidemment, répondit Soot en fronçant les sourcils. »
Les quatre souris finirent de préparer leurs affaires, puis constatèrent que la tortue était partie devant. Ils la rattrapèrent plutôt facilement, puis tous marchèrent au même rythme.
Le soleil tapait dur sur le crâne des cinq animaux, mués par un profond silence.
Dauw finit par le briser, usant une fois de plus de son verbe enjôleur :
« Chaud, pour un mois de septembre, non ? »
La tortue soupira, désespérée.
Snor était partagée pour elle entre fascination et peur. Elle avait sauvée leur cité, mais elle agissait avec tant de rudesse parfois. Cela l'exaspérait, et il ne parvenait pas à la cerner. Tout ce qu'il savait d'elle, c'était qu'elle avait eu un mari, et qu'elle maniait la masse d'armes d'une main.
Snor s'arrêta sur place. Les engrenages venaient enfin de tourner dans sa tête. Elle sut alors comment faire parler la tortue :
« Votre mari, demanda-t-elle, c'était la Sage Carapace ? »
Cela ne fit pas parler la tortue, qui se contenta de maugréer dans sa barbe.
Le chemin continuait de suivre la falaise, désormais parsemée de forêts. La compagnie n'en finissait plus de monter, puis elle pencha la tête pour constater ce qu'il arrivait à la rivière.