9: Hopital

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Arrivé à destination, je parvins à rester debout. Ce qui n'était pas le cas lors de mes premières fois. En général, j'arrivais toujours à plat ventre, mes vêtements couverts de suie et mes lunettes cassées. Il m'avais fallu des années de pratique intensive pour que je daigne arriver sur mes deux pieds mais cela restait encore hésitant.

Je me hâta de m'écarter de la cheminée. Dans la seconde qui suivit, Rogue apparut à son tour. Sa robe noire n'avait pas un gramme de poussière.

Sans un mot, nous prions la direction du quatrième étage, pathologie des sortilèges. Le personnel ne s'étonna pas de notre présence. Nous étions connus depuis plus de six ans dans ce service.

Rogue fut le premier à ouvrir la porte de la salle Janus Thickey, chambre 49, réservée aux résidents longue durée. Les seuls habitants pour l'instant étaient les t/n qui étaient bien sagement installés dans leur lit.

Comme à chaque fois que je les voyais, je ne put m'empêcher de les détailler. Ma mère était encore jeune mais sa chevelure de feu était marquée par des mèches blanches et son visage par des rides précoces. Elle était aussi affreusement maigre. Tout comme mon père. Il était bel homme. Je lui ressemblait beaucoup. Sauf qu'il faisait bien plus que ses trente-sept ans. Il semblait en avoir cinquante.

À peine entré, j'avais déjà envie de repartir. Cela me faisais toujours mal de voir mes parents dans cet état. Je voulais pleurer mais je savais que mes larmes ne couleraient pas. Je ne pleurerait qu'une fois revenu à Poudlard.

Ce n'étaient que deux heures. Deux longues heures pendant lesquelles je jouerais le rôle de parent ou d'ami, mais pas celui d'enfant.

Je ne serais plus jamais leur enfant. Une sorcière m'avais pris mes parents en les torturant encore et encore jusqu'à les rendre fous.

Le Médicomage guérisseur Strout s'approcha de moi et me serra la main.

– Ils vont bien ? s'enquiais-je non sans jeter un rapide coup d'œil à mes parents toujours assis dans leur lit. Ils ont fait des bêtises ?

Cette phrase aurait pu me faire sourire. Seulement elle était douloureuse à prononcer. Ce n'était pas moi qui aurait dû m'enquérir des bêtises de mes parents mais l'inverse. Je me faisais l'impression d'être un père ou une mère qui rend visite à son enfant à l'hôpital.

– Oh que non. Dès qu'ils ont su que vous veniez, ils se sont mis au lit et attendent. Ça doit faire trois minutes.

Cela me fit étrangement plaisir qu'ils puissent espérer ma venue. Les guérisseurs étaient incapables de dire si les t/n pouvaient reconnaître leur petite fille. Je préférais me dire que non, qu'ils avaient oublié jusqu'à mon existence, qu'ils avaient oublié toutes ces années pour redevenir des enfants insouciants.

– Sinon ils vont bien, continua Strout. Mais leur poids reste bas. Ils refusent toujours de se nourrir correctement. Ce matin, votre père a jeté son assiette par terre.

– Et les intraveineuses de potion ?

– Oh, nous avons essayé. Ils les retirent sans cesse. À moins de les ligoter à leur lit, ce que je ne ferai jamais, nous ne pouvons rien faire pour les forcer à manger un peu. À moins que ce ne soit vous.

Je ferma les yeux. Pour mes parents aussi, se nourrir était difficile. À croire que les t/n avaient tous un rapport avec la nourriture qui n'était pas sain. Je regarda ma mère qui souriait de toutes ses dents. Un sourire enfantin, innocent.

Encore une fois, je voulus pleurer. Mes yeux me brûlaient, me piquaient. Aucune larme ne coula. Je me détourna du guérisseur et m'approcha des lits côte à côte, laissant Strout et Rogue discuter dans un coin.

– J'ai quelque chose pour vous, leurs dis-je.

Deux regards se mirent soudain à briller de bonheur. Les t/n se dressèrent dans leur lit, s'étirant autant que possible jusqu'à moi qui fouilla dans mes poches. Tous les mois je pensais à leur ramener une ou deux petites douceurs. Parce que ça leur faisait plaisir. Je tira deux chocogrenouilles que je donna à mes parents. J'aida ma mère qui avait du mal à ouvrir son paquet et regarda mon père dévorer à belle dent la sienne.

– Le guérisseur m'a dit que vous ne mangiez pas bien, repris-je. Il faut manger un peu. Je suis sûr que ça doit être bon.

Pas de réponse. Tous deux me regardaient calmement. Parfois je me demandais comment les guérisseurs avaient pu déterminer leur âge mental. Aucun des deux ne parlait. Jamais.

Puis je se mit à rire tout doucement en voyant la bouche de ma mère barbouillée de chocolat. Je se tourna vers mon père qui n'était pas en meilleur état. Armé d'un mouchoir, je les débarrassèrent de la couche chocolatée qui leur couvrait une partie du visage et les mains. Puis maman me tendit un livre.

Une heure et demi plus tard, Rogue me fit signe qu'il était temps de partir. Je referma le livre et me leva de la chaise installée entre les deux lits. Mes parents dormaient sereinement, certainement plongés dans des rêves doux. Comme à chaque fois que je m'en allais, je les embrassa sur le front puis quitta la salle, le cœur lourd.

Ce ne fut qu'une fois de retour dans le bureau du directeur que je craqua. On me laissa pleurer quelques minutes.

À seize heures exactement, j'avais repris mon sac, prête à partir.

– t/n, fit Rogue alors qu'il allait passer la porte du bureau.

– Oui, professeur ?

– Comptez-vous vous infliger ces tourments longtemps ?

Je ne répondis rien, sachant parfaitement ce que Rogue voulait dire par là. Je m'obligeais mois après mois depuis plus de six ans à rendre visite à mes parents.

– Ce sont...

– Vous croyez que je ne le sais pas ? Cependant, regardez l'état dans lequel ça vous met à chaque fois ? Vous n'êtes en rien responsable de leur état !

– Je sais mais...

Comment lui expliquer que c'était mon rôle d'être présent autant que possible ? C'était difficile, une corvée, cependant je n'avais pas le droit de baisser les bras.

– t/p, je peux comprendre que vous fassiez cela parce qu'ils sont vos parents et que vous les aimez. Mais vous n'êtes pas obligés de passer les voir chaque mois que Merlin fait !

– Si. Vous l'avez dit, je suis leur enfant et je les aime. Si vous voulez arrêter le traitement, alors dites-le.

– Non, je ne souhaite pas arrêter. Même si, selon le guérisseur Strout, il n'y a rien à faire. Vos parents resteront jusqu'à leur mort dans cet état.

– Que vous a-t-elle dit ? exigeais-je alors que je n'avais pas été mise au courant de cette nouvelle.

J'aurais voulu le savoir de la bouche de Strout elle-même.

– Asseyez-vous, soupira Rogue en prenant place derrière son bureau. Vos parents, dit-il une fois , sont malades mentalement et rien, aucun sort ni aucune potion ne peut rien changer. Depuis plus de six ans que je les traite, je n'ai trouvé aucun remède. Les cures ne fonctionnent pas. Ce n'est pas faute d'avoir tout tenté. Je continuerai encore et encore. Cependant, vous devez vous attendre à une absence de résultats. D'autant que...

L'enseignant s'interrompit et passa une main lasse sur son visage. Il semblait fatigué, usé par les années alors qu'il était relativement jeune.

En fait, réalisais-je, il avait le même âge que ses parents. Trente-sept ans.

– t/p, reprit Severus, le guérisseur Strout ne savait pas comment vous l'annoncer et j'avoue ne pas le savoir davantage. Vos parents se laissent lentement mourir.

Devrais-je t'aimer?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant