Celle que je ne suis pas

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Une paire de ciseaux à la main, il se regarde dans le miroir. Ses doigts sont crispés sur le bord du lavabo.

Il attend.

À la vue de son reflet, ses yeux changent de direction et sa tête se baisse. Ses jambes tremblent et peinent à le retenir.

Éviter à tout prix cette image, cette enveloppe extérieure qu'il n'accepte pas.

Même dans ses souvenirs les plus lointains, il ne se souvient pas avoir déjà aimé son reflet. Enfant, il ne souriait jamais sur les photos, malgré les supplications de ses parents. Son visage, son corps l'insupportaient et l'insupportent toujours.

Mais un jour ou l'autre, il faut bien affronter des démons.

Sans plus de réflexion, il relève la tête et fixe droit dans les yeux cette personne qui lui a déjà fait tant de mal.

En face de lui, dans ce miroir, se tient une fille aux longs cheveux blonds et au regard bleu profond chargé de détresse.

Celle qu'il n'est pas.

Une peau immaculée et les traits fins d'une poupée. Son nez légèrement retroussé est la seul chose permettant de la différencier d'une figurine de porcelaine. Avec sa chevelure dorée, il n'est pas rare qu'on la compare à un ange ou une déesse.

Mais c'était fini. Maintenant qu'elle savait, son unique désir était de détruire tout ce qui la rapprochait d'une divinité.

Dans le miroir, il la voit lever la main et donner un grand coup de ciseaux dans le rideau de cheveux qui l'encombrait depuis tant d'années.

De fins fils d'or tombent en cascade.

La voilà, la première étape de sa transition.

Il se souvenait des disputes avec ses parents, des phrases lancées entres deux sanglots.

"Pour moi, tu ne seras jamais un garçon, tu es une fille ! Tu es notre petite Mina ! Je ne t'ai jamais vue comme un garçon manqué ou quoi que ce soit, alors pourquoi ? Pourquoi vouloir en devenir un ?"

Pourquoi ? Parce que c'était lui. Et Mina, celle qu'il n'était pas, celle qu'il n'était plus. À présent, il était lui, il était Armin.

Une pluie de cheveux s'abattait toujours sur la faïence du lavabo. De coups de ciseaux en coups de ciseaux, une bonne partie de sa chevelure était à présent tombée.

En regardant la chute lente et hypnotique, il se souvient, trop tard, qu'il aurait pu faire don de ses cheveux s'il les avait attachés avant la coupe.

"Merde... Ils auraient au moins pu servir à quelque chose..."

Depuis que Carla, la mère d'Eren, son meilleur ami, avait eu un cancer, il faisait toujours attention d'aider le plus possible les malades de son entourage. Avec ses beaux cheveux d'ange, une perruque aurait pu être offerte à une de ces femmes chauves à cause de la chimiothérapie, mais trop tard, ils sont déjà étalés au fond du lavabo, inutilisables.

Eren, quant à lui n'aurai rien reproché à son ami. "Tant pis, tu y penseras la prochaine fois !" aurait-il dit s'il était là. Mais aujourd'hui, Armin veut être seul pour accomplir cette tâche. Plus déterminé que jamais, il reprit ses ciseaux.

Son ami de toujours avait été le premier à savoir pour lui. Sa réaction avait été plus qu'inattendue pour le jeune homme en questionnement : il avait éclaté de rire.

"Que veux-tu que je te dise ? Tu es un mec, c'est super ! Comment je dois t'appeler maintenant ?"

Touché par cette réponse simple et spontanée, Armin s'était aussitôt souvenu pourquoi ils étaient devenus meilleurs amis: parce qu'ils se faisaient confiance.

Surpris par le flot d'émotions que provoquaient en lui ces pensées, un instant il pose la paire de ciseaux. S'appuyant sur le bord du lavabo, il ouvre le robinet et se passe de l'eau sur le visage. Au contact du liquide, les cheveux s'agglomèrent et viennent se coincer dans la bonde.

"Merde c'est bouché, pense-t-il, mais je ne peux pas m'en occuper maintenant, j'ai un travail à finir."

À nouveaux, il attrape l'objet tranchant et reprend son ouvrage.

Une mèche, deux mèches, trois mèches. Le poids de ses cheveux sur ses épaules s'amenuise de seconde en seconde, en même temps que le poids de ses regrets.

Ses amis, eux, n'avaient su que bien plus tard, lorsque la dysphorie était devenue trop grande pour la contenir. Malgré une certaine incompréhension de la part de certains, tous l'avaient soutenu.

Clac. Le dernier coup de ciseaux, enfin.

Pour mieux s'admirer, il recule de deux pas, mais instantanément fond en larmes.

"Je suis... Hideux !"

En effet, aucune mèche n'avait la même taille que sa voisine. Devant, derrière, sur les côtés, des dizaines d'escalier de cheveux. Une frange penchée et parsemée de trous venait compléter le tableau.

C'est le moment que choisit Annie pour venir frapper à la porte.

"Toc toc ! Est-ce que je peux entr... Oh mon dieu ! Qu'est-ce que tu as fait à tes cheveux ?"

Et pour toute réponse, elle ne reçoit qu'un sanglot.

"Attends, attends, je vais t'aider."

Elle ramasse la paire de ciseaux tombés par terre et se met à l'œuvre. D'un geste doux et maternel, elle attrape les mèches malmenées et les recoupe d'un geste assuré. Clac. En quelques minutes, les cheveux sont revenus dans le droit chemins.

"La longueur te va ?
-Oui, c'est parfait."

À présent, il avait un carré lui arrivant au niveau du menton, accompagné d'une belle frange bien droite. Beaucoup d'hommes transgenre n'auraient jamais voulu d'une telle coupe de cheveux, mais lui n'oubliait pas la fille qu'il avait été, et malgré tout, il aimait encore ses cheveux longs malgré la féminité à laquelle ils étaient associés.

"Merci beaucoup Annie, je suis vraiment magnifique.
-C'est normal mon cœur, même si tu n'es plus la fille que j'ai connue au début de notre relation, je t'aime toujours comme au premier jour."

Sur ces mots, elle s'approche de lui et l'embrasse tendrement.

"Tu n'as pas confiance en toi, mais moi je sais qu'on jour tu arriveras à faire changer ton prénom, avoir des injections de testostérone et la mammectomie dont tu rêves tant. Et même sans, tu es un homme Armin ! Tu es l'homme que j'aime et tu sais que je serai à tes côtés jusqu'à ce que tu sois celui que tu veux être, et même après. Je serai toujours là pour toi Armin."

Des larmes coulent sur les joues des deux amoureux, mais des larmes de joie, car en dehors du regard des autres, dans cette salle de bain, ils sont eux, et rien de plus.

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⏰ Dernière mise à jour : Jul 31, 2021 ⏰

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