Chapitre 1 - Léonard

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Alors que la pièce est plongée dans l'obscurité, je fixe un point invisible au plafond, retrouvant peu à peu l'usage de la vue. La migraine a fini par disparaître après des heures à tenter de trouver le sommeil.

Prescription du médecin : dormir.

Sauf que j'en ai marre de rester allongé dans mon lit à longueur de journée. J'ai passé des semaines à me reposer à l'hôpital, entre les visites du personnel médical pour vérifier mes constantes et celles de mes proches. Maintenant que je suis rentré au palais, je n'ai qu'une envie : retrouver un semblant de vie normale et de liberté. Mais ce n'est pas près d'arriver. Après ce qu'il s'est passé et la frayeur que j'ai causée à ma famille, je vais devoir faire une croix sur mon indépendance pour un très, très long moment. Déjà que je n'en avais pas vraiment, maintenant ça risque d'être pire.

Je soupire, dépité, et me recroqueville sur le côté, le regard perdu sur le parquet en bois massif de ma chambre.

Le point positif – s'il y en a au moins un à soulever dans cette situation déplorable – c'est que je peux enfin échapper au rituel – et rébarbatif – emploi du temps qu'on me colle sur le dos depuis que j'ai l'âge de parler. Fini les programmes réglés à la seconde près.

Je m'étends à nouveau sur le dos et passe un bras sous ma nuque, veillant à ne pas brusquer mes gestes, au risque de raviver les maux de têtes. J'humecte mes lèvres sèches et expire bruyamment.

Tous les appareils électroniques ont été enlevés de ma chambre, pour que ma période de convalescence se passe au mieux et pour éviter d'accentuer les migraines. Même mon réveil qui projetait l'heure sur le mur. Celui que j'ai reçu à Noël, quand j'avais 10 ans, et qui ne m'avait jamais quitté. Ou alors c'est moi qui l'ai enlevé.

Mon moi d'avant.

Ma gorge se serre à la simple pensée de cette personne que j'ai oubliée. Séquelles collatérales, qu'ils disaient, à l'hôpital. Moi, j'appelle ça une putain de tumeur. Presque deux ans de ma vie effacés en une fraction de seconde, et j'ai l'impression que c'est tout mon monde qui s'est écroulé.

Vingt-quatre mois, c'est long. Surtout quand on en est privé.

J'étouffe soudainement dans cette pièce que je connais par coeur mais qui, aujourd'hui, me donne l'impression d'être un étranger. Je m'assois au bord du lit avec une extrême prudence, puis me lève. Je guette un vertige qui ne vient pas, les deux mains en suspens, prêtes à retenir un choc brutal sur le sol. Rassuré de voir que mon corps se remet progressivement de ses traumatismes, j'avance d'un pas mesuré jusqu'à la porte de ma chambre. Je l'ouvre doucement et analyse la luminosité du couloir. Tous les rideaux sont fermés, isolant complètement ce côté du palais du monde extérieur. Un rire amer s'échappe de ma gorge tandis que je marche jusqu'aux escaliers de service. J'ai l'impression d'être dans une prison, ou dans un hospice. Un grand hospice.

Ça me donne envie de hurler. Je suis simplement blessé. Pas fou.

Je descends les marches une à une, sans croiser âme qui vive. Ce n'est pas pour me déplaire, mais je ne devrais pas me retrouver seul dans mes quartiers. D'habitude, ça grouille de monde. Si ce n'est pas un domestique qui veille sur moi, c'est au moins un garde du corps. Là, c'est le désert. Ma présence a-t-elle au moins été annoncée aux employés ? Qu'on ne me fasse pas croire que tout le monde est occupé ailleurs. Ma soeur m'a confié que notre père avait doublé ses effectifs de sécurité. C'est difficile à croire, là, tout de suite.

Je longe le couloir vide jusqu'à la première pièce de l'aile des domestiques, puis en traverse une autre pour arriver enfin devant la porte de la cuisine. Elle est entrouverte, et avant que je pousse le lourd battant en bois, des rires et des voix me parviennent aux oreilles.

Royal Bodyguard (sous contrat d'édition)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant