L'entretien

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A peine remise de mes émotions, la porte devant moi s'ouvre dans un bruit qui résonne comme le début de mon humiliation.

Une jeune femme tout sourire m'accueille, dans son tailleur haut et son blazer chic, me faisant signe d'entrer dans la salle de conférence. Je m'avance d'un pas mal assuré, presque timide, honteuse d'arrivée les mains vides au rendez-vous le plus important de ma carrière.

Je rentre dans la pièce et voit comme prévu une quinzaine de personnes, qui me suivent du regard à chacun de mes pas. Cette boule de stress coincée au creux de mon ventre s'amplifie lorsque je m'arrête face à eux, au bout de la salle, tous prêts à m'écouter. Je regarde malgré moi la chaise du fond, celle ou devait se trouver Paul, et je ressens une pince au cœur de ne pas l'y trouver, tant bien même il m'avait mise au courant. Il a intérêt à être la pour les résultats, pensais-je... S'il ne s'y présente pas, je sais dorénavant que je peux rentrer chez moi, bredouille. Et si c'est par sa faute, je ne lui pardonnerai jamais.

Puis à sa gauche, bien que j'aurai préféré que LUI ne s'y trouve pas, je vois Victor, que je n'ai jamais vu aussi souriant. Connard...

Je reconnais ensuite Mr et Mme Dilva au fond à droite, et leur hochement de tête qui semble me dire « ca va aller » me remémore instantanément notre conversation quelques heures plus tôt, celle-là même qui me donne le courage de commencer. C'est maintenant. Tu donnes tout, et ce sera sans regrets. Tu seras fière de toi quoi qu'il arrive.

Je leur expose alors mon discours, la tête haute, d'une voix ferme mais calme, remplie d'assurance. Ou du moins, c'est l'impression que j'essaie de donner.

Je parle alors pendant presque une demi-heure, sans m'arrêter ni vaciller face aux froncements de sourcils de Mme Poirent, ou face à un monsieur au fond en train de pianoter sur son portable. C'est mon jour, et personne ne viendra gâcher ce moment, peu importe les avis des uns et des autres.

C'est lorsque je finis que je me rends compte qu'il est grand temps de prendre ma respiration. Le stress s'est dissipé dans sa quasi-totalité, même si je suis consciente que le pire reste à venir. Parce que je me sens à ma place, et je veux le faire savoir.

« Très bien Mme Stevenson, vous pouvez afficher votre diaporama et ensuite nous passerons aux questions. », me sourit Mr Dirtch.

Le diaporama. Le fameux. Quitte à être foutu, autant y aller au culot, non ?

« Je préfère que nous passions directement aux questions, si cela ne vous ennuie pas. Je préfère sacrifier ce temps de diaporama afin que vous puissiez plus vous entretenir avec moi, je suis déterminée à avoir ce poste et je ne veux pas que vous vous trompiez. C'est pourquoi je suis prête à répondre à tous vos doutes, afin de vous convaincre que ma place est celle qui se trouve entre vos mains. »

Je m'arrête de parler, et suis presque sure qu'ils peuvent entendre le son de mon cœur battre à tout rompre, là, tout de suite. A deux doigts de faire une syncope, je regarde les réactions aussi différentes les unes que les autres. Des chuchotements à gauche, quelques « oh » d'étonnements, un petit « ce ne sont pas les règles de la conférence » et un « quel culot ! » que je distingue au fond de la pièce.

Ces quelques secondes me semblent durer une éternité, puis Mr Birtch prend la parole de nouveau.

« Mme Stevenson, êtes-vous sure de ne pas vouloir diffuser de diaporama ? Avez-vous conscience qu'il pourra vous en porter préjudice ? »

« J'en suis certaine, monsieur. »

Non sans avoir lancé quelques regards autour de l'assemblée, il reprit la parole.

« Bon, et bien nous passons aux questions. Pour commencer Mme Stevenson, pourquoi vous et pas une autre ? »

Et s'en découle une tonne de question, puisqu'évidemment j'ai volontairement -bien qu'involontairement- rallonger ce temps-là, fin prête à me mettre une épine dans le pied à chaque nouvelle interrogation. Sans parler de celles de Victor, qui prends un malin plaisir à ne louper aucunes des occasions qui se présentent pour me compliquer la tâche.

Une vingtaine de minutes plus tard, le maître de conférence indique que celle-ci est terminée, et qu'il est l'heure de s'entretenir afin de nous départager. Ils m'invitent à sortir de la pièce, et je me retrouve alors dehors, sur la même chaise que lorsque je suis arrivée. La seule différence est que j'aperçois Lauren, assise non loin de moi, l'air tout aussi stressée que je l'étais.

S'en suis une interminable attente, partagée entre le fait que je veuille que ça se termine au plus vite, et le fait que je souhaite à tout prix voir Paul arrivé avant la fin des votes.

Mais bordel, que fait-il ?

Je lui en veux, je lui en veux de toutes mes forces et je supplie mes yeux de ne pas lâcher les centaines de larmes que je peine à retenir. Je n'arrive pas à comprends ce qu'il peut y avoir de plus important que le fait qu'il ait en parti ma carrière entre ses mains. Comment peut-il me faire ça, à moi ??? Il sait combien cette journée compte pour moi, nom de dieu !

En plein dans mes pensées, je remarque à peine la porte s'ouvrir devant moi, préférant jusqu'à la dernière seconde rester dans le déni. Au moins, lui, il me rassure.

« Vous pouvez entrez mesdemoiselles, c'est l'heure du résultat. »

Je lève la tête et c'est à ce moment-là que je me rend réellement compte que ma chance vient de me passer sous le nez. Paul n'est pas arrivé à temps, et c'est trop tard. C'est finit.

Je décide tout de même de me lever, afin d'écouter ma sentence comme toute bonne perdante. Nous nous retrouvons alors toutes les deux au milieu de la pièce, attendant que le maître de conférence prenne la parole.

« Mme Stevenson et Mme Malarie », commence t-il, « Vous êtes les deux finalistes pour le poste très convoitée de rédactrice du New York Times. Tout d'abord, je tiens à vous remercier pour vos présentations... »

Mon cerveau peine à se concentrer sur le discours tant la peine ressentie dans mon cœur se fait grande. Bizarrement, il se reconnecte lors d'une phrase : « Nous sommes aujourd'hui 14 membres du jury, puisque nous avons eu un désistement de dernière minute et.... »

C'est après le mot « désistement » que mon cerveau lâche cette fois-ci pour de bon. Désistement? Sérieusement ?

« Nous sommes donc face à une égalité. »

Quoi ?, je lève les yeux, aussitôt remplie d'espoir, et sors de mes pensées.

Sans le vote de Paul et de Victor, je perds 6 voix contre 8 voix pour Lauren, donc ça voudrait dire que... j'ai eu un vote adverse ?

« Lorsqu'une égalité se déroule, il est du devoir du maître de conférence de choisir entre les deux. »

Et voilà que mon espoir se retrouve émietté aussi vite qu'il a été prononcé. Le maître de conférence est du côté de Lauren.

« Ainsi, j'aimerais accorder ma voix à Lau... »

« Stop ! », je tourne soudainement ma tête face à l'embouchure de la porte, qui venait de s'ouvrir dans un vacarme assourdissant.

Paul.

Mais que faisait-il ?

Ce patronOù les histoires vivent. Découvrez maintenant