5- La soirée (prt 2)

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Je sens soudainement mon cœur battre à tout rompre tandis que des souvenirs se bousculent dans ma tête. La musique est assourdissante, l'odeur d'alcool et d'herbe est cent fois trop forte, ces gens tout autour me donnent l'impression de suffoquer, et tout ça à cause de sa présence.
Se trouve-t-il réellement là, face à moi, ou bien l'alcool me donne des hallucinations? Non, c'est bel et bien lui, comment oublier ce visage?
Ça me dégoute presque de l'entendre m'appeler par ce surnom. "Lia". Cela me paraît aussitôt niais et trop intime, et surtout, affectif. Comment ose-t-il continuer à m'appeler ainsi alors qu'il n'a jamais rien ressentit pour moi? N'est-ce pas hypocrite? Mais le pire, c'est que je n'oserai pourtant pas lui dire que je préfèrerais qu'il ne m'appelle plus ainsi. Après tout, depuis quand ai-je pu refuser quoi que ce soit à Thomas Harvey?

-Tu as... changé. On doit dire que ça fait un bail qu'on s'est pas vu, dit-il avec un ton légèrement hésitant, affichant une expression perplexe.

J'évite son regard du mieux que je peux. Je le connais assez pour déduire que pour lui, c'est un changement négatif. Même après que ce soit finit, ne peut-il pas arrêter de m'analyser et de me juger sur tous les points?
Je ne peux pas me sentir blessée, il a raison, je m'en rend bien compte. Je me rend compte que toutes mes bonnes résolutions n'ont pas plus d'importance que la vision qu'il a de moi. Je ne serais jamais assez bien pour lui. Je voudrais pourtant lui crier je fais des efforts, que je fais de mon mieux pour m'améliorer.
"Ah, je me disais bien", lance une voix dans le dos de Thomas.
Je tend le cou pour voir qu'il s'agit de Tess, la cousine de Zoë, et qu'elle s'avance vers nous. Je sens la panique monter, elle me semble soudain tellement intimidante. Où est-ce le fait d'avoir l'impression d'être prise dans un guet-apens ?

-Eli, c'est ça? T'étais pas la copine de Tom? Y avait eu cette rumeur au lycée, sauf que notre cher Tommy, dit-elle en se tournant vers l'intéressé, ne répondait jamais clairement. On avait beau vous voir de temps en temps ensemble, il ne t'as jamais réellement présenté en tant que sa copine. J'apprécierais d'être enfin fixée sur ça.

Elle était une amie de Thomas? Je dois dire qu'il ne m'avait jamais présenté à ses amis, et, Tess dit sûrement vrai, Thomas n'a jamais voulu que les autres sachent que l'ont sortait ensemble, il disait qu'il préférait la discrétion. Il avait probablement trop honte de moi, maintenant que j'y pense.
Je lui alors jette un regard paniqué mais il se contente de prendre une gorgée de son verre et d'hausser les épaules. Bien, je me retrouve donc seule. Un silence s'installe, et on n'entend plus que la musique sortant des enceintes. Tess quand à elle, continue de me fixer, attendant en vain ma réponse. C'était au moment ou on entend un énorme fracas qu'elle s'éloigne vers le groupe responsable du désordre avec un cri de mécontentement.

Libérée de son regard pesant, je me rend rapidement compte que Thomas est toujours là, et ne cesse de me fixer, ou plutôt de m'analyser. Encore et toujours. J'ai l'impression de ne plus pouvoir sortir un mot, alors je reste là, à le regarder aussi, bêtement.
Je sens que l'on me tapote l'épaule et me tourne, avec la crainte de refaire une mauvaise rencontre, mais ce n'est que Zoë. C'est alors que je réalise qu'elle a assisté à toute cette scène et doit sans aucun doute me trouver nulle. Pourtant, je ne décèle aucune once de jugement dans son expression. Non, en fait je crois bien lui faire pitié, et je trouve ça encore pire que d'être jugée.

-Tu voulais me dire quelque chose? Est-ce que tu es sûre que ça va?

Non. Rien ne va là.

-Je...

A peine ai-je le temps de répondre qu'une voix que je ne connais que trop bien s'exclame à mon attention: "Tu m'a tellement manqué!".
Après Thomas, voilà Emy. Et elle arrive, là, juste en face de moi, affichant un magnifique sourire. Je me retiens d'éclater d'un rire désespéré. Comment cette soirée à l'apparence banale a-t-elle pu se transformer en une sorte de réunion des anciens aussi chaotique?
Elle me prend dans ses bras, ce qui moi, me prend totalement au dépourvu. Je manque presque de renverser le contenu de mon verre. "Ça fait si longtemps qu'on ne t'a pas vu, pas vrai Thomas?".

-C'est exactement ce que je lui disais, répond-il. Bon, je descend. C'était sympa de discuter Zoë. A plus, Eli.

Je me libère soudain de la prise d'Emy, à la fois dégoûtée de son hypocrisie et inexplicablement perturbée par ce que je viens d'entendre.

-Ah, vous... vous... je balbutie en regardant tour à tour Zoë et Thomas qui s'éloigne déjà, vous vous connaissez?

-Tess nous a présenté, oui. Répond Zoë avec un regard interrogateur.

C'en est trop pour moi, je saisie brusquement ma voisine par l'épaule, de ma main libre et plongeant mon regard dans le sien, articule le plus calmement possible:

-Tu voudrais pas qu'on y aille?

L'empressement dans ma voix trahit sans doute ma panique.

Elle me fixe un instant, l'air perdue.

-Tu... ne veux pas discuter avec ton amie? Qu'est-ce qu'il se passe?

Je la toise un instant du regard puis serre le poing un peu plus et répond avec un ton plus dure que je ne l'ai voulu:

-Je veux juste rentrer. Si tu veux rester je ne te forcerai pas, je peux toujours appeler ma mère.

Tout ça ne te concerne pas.

-Bon... Fait-elle avec déception. Je dois récupérer un truc dans la chambre de Tess, ensuite je vais appeler mon père. Je reviens, dit-elle en s'éloignant pour monter les escaliers menants au second étage.

Je la regarde partir, avec une impression de soulagement soudain. Je vais enfin pouvoir m'échapper d'ici.

-Tu pars déjà? Tu ne veux pas qu'on discute un peu? Sur la terrasse, il n'y a pas beaucoup de monde.

Je l'avais presque oubliée. Murée dans le silence, je lui lève mon majeur et commencer à m'éloigner pour descendre à l'étage inférieur. Je crois bien que l'alcool me donne des ailes. Je me rend d'ailleurs compte que je manque sérieusement d'équilibre.

Emy retient alors fortement par le bras, me forçant à lui faire face. Elle m'a l'air tout à coup l'air irritée par mon attitude.

-Arrête d'être aussi têtue, ça fait des mois que tu ne donnes aucun signes de vie. Il faut qu'on ait une discussion.

Oh, ce n'est donc plus une simple proposition? 

-Je veux juste partir, dis-je, ma voix se brisant pour ne devenir qu'un ridicule murmure.

-Je te demande seulement cinq minutes, Eli, dit-elle en affichant de nouveau son sourire agréable, presque convaincant.

Au fond de moi, j'aimerais bien entendre ce qu'elle a à me dire. Je veux des explications, des excuses. Je veux qu'elle soit consciente de tout le mal qu'elle m'a fait. Alors je peux bien lui accorder cinq minutes, le temps que monsieur Leroy arrive.
Mais je sais que d'un autre côté, Emiliana Durand est beaucoup trop imprévisible.

Publié le 29/10/2021

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