Versions de moi

7- Le tri

« Déjà rentrée ? » me lance ma grande sœur depuis le salon.
Je hoche lentement la tête en me dirigeant vers les escaliers, totalement vidée de mon énergie. « Tu... ne me racontes pas comment c'était ? », me demande-t-elle en s'approchant, dans mon dos. Je m'arrête alors et ne prend même pas la peine de me tourner afin de lui faire face, et répond d'une voix monotone: « Je suis fatiguée, je te raconterais demain, promis. ».
Je titube dans les escaliers pour finalement rejoindre ma chambre. J'allume la lumière et jette rageusement mon téléphone sur le lit. J'enlève ensuite mes chaussures puis me laisse tomber à mon tour sur l'épais matelas. Je fixe le plafond pendant plusieurs minutes, laissant rouler les larmes chaudes le long de mes joues.

Je tente de faire le trie parmi les pensées qui se bousculent dans ma tête. Je regrette d'avoir accepté d'aller à cette soirée. Je regrette de ne pas avoir demandé à ma mère de venir me récupérer. Quel genre de karma s'acharne contre moi? J'ai fais de mon mieux pour gérer l'apparition de Thomas, mais le coup de grâce m'a été porté au moment où je suis montée sur le toit avec Emy. M'attendais-je réellement à des excuses de sa part?

Je clos les paupières, et tente de calmer le rythme de ma respiration, mais je ne peux m'empêcher de penser au moment où j'ai parlé avec cette fille, que je considérais autrefois comme ma meilleure amie. Sa voix résonne encore dans ma tête, et j'ai beau me forcer de ne penser à rien, les souvenirs de ce moment me sont encore nets et trop récents.

"Ça fait si longtemps. On ne s'est plus revu depuis... Enfin, tu sais. Et pourtant, on est dans le même lycée."

Je l'observais en haussant un sourcil  puis croisai mes bras. Je faisais vraiment de mon mieux pour avoir l'air sûre de moi mais me retrouver face à elle me terrifiait complètement.

-J'ai fais tout ce que j'ai pu pour ne pas vous croiser de nouveau. C'était mieux comme ça.
Et ne me fais pas croire que vous avez cherché à arranger les choses.
-On ne t'a pas manqué?
-Non.
La seule chose qui a pu me manquer est l'idée d'appartenir à un groupe, d'avoir des amis. Je me suis sentie beaucoup trop seule.
-Je vous ai réellement manqué? Ai-je  pourtant demandé, comme si je ne connaissais pas la vérité.
Elle poussa un soupir en fixant le monde dans l'allée, un peu trop penchée au dessus de la rampe du toit/terrasse.

Un silence se fit pendant plusieurs secondes. Je sirotais ma boisson en fixant le bout de mes chaussures.
-Je pensais pas que ça se passerait comme ça entre Thomas et toi. Dit-elle tout en continuant de fixer un point vers le bas. Je voulais juste que tu sois heureuse. Et ça a été le cas, pas vrai?
Je relevai la tête pour la fixer.
-On peut pourtant dire que la chute à été rude.

Elle s'écarta de la rampe et se tourna vers moi: nous nous trouvions alors face à face.

Je terminai mon verre d'une traite sans la lâcher du regard.

-C'est dégueulasse, lançai-je, je me suis sentie bête. Je me sens toujours bête de m'être fait berner aussi facilement. Tu l'as soudoyé, putain. Mais pourquoi?
Emy leva les yeux au ciel, l'air ennuyée.

-Je pense que tu devrais me remercier. Tu as quand même apprécier tout ça. Le fait qu'il s'intéresse à toi...

-Tu penses avoir fait une bonne action? Tu crois être une sainte?

-Un mec plus vieux, en plus, et c'est grâce à moi. Articula-t-elle en se pointant du doigt tout en affichant un sourire fier.

Elle ne m'écoutait même pas.
Sans me contrôler, je l'agrippai par les bras et n'hésitai pas à resserrer ma prise. J'avais presque envie de lui faire mal. Elle se laissa faire et arborait une expression faussement innocente. Je ne sais pas si c'est l'alcool qui me montait à la tête, mais j'avais des envies de meurtre.

-Tu sais très bien que tout ça ne valait rien, étant donné qu'il n'était avec moi que par intérêt. Bien sûr, tu refuse de comprendre que tu m'as fait du mal. Comment tu penses que je te vois maintenant? T'es qu'une putain de manipulatrice. Je marquait une pause. Une manipulatrice et une gosse de riche. Je lâchai avec le regard le plus arrogant.

Elle se libéra brusquement de ma prise et me repoussa violemment. Je flanchai complètement. Le sol ne me paraissait plus stable. Soudain, j'eu la nausée.

-Tu tiens mal l'alcool. Tu n'es pas dans ton état normal, tu ne sais pas ce que tu dis. Déclara t-elle d'une voix blanche.

-Arrête, je le pense totalement.

-On devrait redevenir amies. Fait-elle en affichant de nouveau son sourire faux. Ça t'aiderait, de sociabiliser de nouveau. Je crois que tu as vraiment mal vécu tout ça.

Sans blague?

-Tu as pas mal changé, Eli. Et je te mentirais en disant que c'est en bien.

-Tais-toi.

Je fais clairement de mon mieux pour ne pas laisser paraître le fait que ça remarque me blesse clairement.

-Je ne veux pas être méchante. Hannah et Ash le pensent peut-être pareil.

-Forcément.

Qui oserait être en désaccord avec Emy?

Mais cette conversation m'épuisait tant elle ne menait à rien. Je savais que peut importe ce que je lui dirais, Emy était trop têtue pour comprendre qu'elle avait tord. Je l'avais toujours su, au fond. Hannah, Sasha et moi, on l'acceptait, on faisait avec. Mais j'avais décidé que je n'en pouvais plus. Je ne pouvais pas accepter ce qu'elle m'avais fait. En tant qu'amie, ne devait-elle pas comprendre ma douleur et s'excuser?
Je secouai lentement la tête, abandonnant, puis passai à côté d'elle en la bousculant de mon épaule avant de me diriger sans un mot vers les escaliers pour descendre.

Je reçu au même moment un message de Zoë qui m'informai que son père nous attendait devant la maison. Je lui répondis que j'arrivai puis les rejoignis dans la voiture en titubant par moments et en tentant de retenir mes larmes. Je bouclai ma ceinture et la voiture démarra.".

Alors que mon regard se perd à nouveau dans la contemplation de mon plafond d'un blanc immaculé, mes pensées dévient vers ma conversation avec Zoë. Je pince les lèvres et me maudit intérieurement. Sous l'effet de l'alcool, je ne contrôlais plus mes mots, ni même mes réactions, tout compte fait.

Zoë a sûrement deviné, cela ne fait aucun doute. Je n'aurais de toute façon pas pu le lui cacher bien longtemps. Je ne voulais simplement pas le dire aussi rapidement, encore moins sans avoir assez de contrôle sur mes émotions.

Que devrais-je faire si tu me réponds que oui, tu apprécies ce cher Thomas?

Je quitte mon lit, me dirige vers mon armoire et choisis au hasard une chemise de nuit. Je fixe un instant les vêtements que je viens d'enlever, jonchant sur le sol, et l'idée me vient un instant de les brûler. Je les déteste, tout à coup.

En ouvrant ma fenêtre pour fermer les volets, mes yeux sont attirés un instant par les lumières provenant de la maison d'en face. Je reçois une notification au même moment. J'attrape mon téléphone, posé sur le lit et ouvre le message de Zoë. C'est la photo que nous avions prise avant d'aller chez Tess. Zoë est belle.
J'éteins mon téléphone et le repose, puis deux gouttent viennent s'écraser sur le drap.
Zoë, elle, est vraiment belle.

Publié le 09/12/2021

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