Dégueuler n'était vraiment pas agréable, et se faire dégueuler tout sauf une partie de plaisir.
Pourtant Rita le faisait quotidiennement. Elle pensait au début qu'elle finirait par s'y habituer, mais l'odeur et le goût du vomi la dégoûtait toujours au plus haut point.
Elle avait appris à dégobiller silencieusement. Elle avait aussi appris à cacher le fait qu'elle avait gerbé. La jeune fille avait toujours une brosse à dents sur elle, et des chewing-gum au cas où le dentifrice ne suffisait pas.
Elle était fine. Sa taille de guêpe lui valait de nombreux compliments, et elle donnait tout pour la conserver telle qu'elle. Le jour où elle avait réalisé qu'elle pouvait prendre des kilos et du ventre, elle avait eu peur. Peur de perdre ce dont elle était si fière. Peur qu'on la regarde autrement si elle changeait.
« Tu es si mince ! Quelle silhouette ! Comment fais-tu pour rester aussi fine ? »
Son poids, c'était comme un trésor. Une partie d'elle qui lui valait des remarques, de l'attention. De la considération. Elle aimait se sentir légère, enviée, admirée. Et peu lui importait ; si elle devait sacrifier sa santé pour continuer à vivre de cette manière, et bien c'était tant pis. Ni Samantha, ni Deen, ni personne ne pourrait la convaincre de changer cet état d'esprit.
— Allez Rita, on va manger. Tu viens ?
— J'arrive Sam...
Samantha rejoignit Miles dans la cuisine.
Elle le trouva en pleine contemplation devant le feu de la gazinière. Une fois qu'elle fut arrivée à son niveau, elle tourna le bouton pour éteindre les flammes.
— Mais qu'est-ce que tu fiches ? L'interrogea-t-elle. Allez, sers le plat s'il-te-plaît, je reviens dans deux minutes.
— Euh, oui. Pas de problème.
Dans la salle de bain, Miss Jones observait son reflet dans le miroir. Tout le monde dans le voisinage la prenait pour une sorte de sainte, mais en réalité elle savait qu'elle n'en était pas une. Des fois elle se demandait si garder ces enfants avait vraiment été une bonne idée.
C'est vrai, elle les aimait. Mais elle avait remarqué quelques petits détails chez chacun d'entre eux qui la préoccupaient de plus en plus.
D'abord il y avait l'aîné, Deen, qui avait la manie de voler des choses insignifiantes, que ce soit des cure-dent ou des cartes, des vêtements, des téléphones... Et puis Miles, qui mentait beaucoup et sans raison. Rita qui ne mangeait vraiment pas assez. Quant à Dolores, elle savait depuis le début qu'elle avait des problèmes de violence et de gestion de la colère.
Ces gamins avaient sûrement besoin de soins, d'un suivi. Tout ça était payant. Et même avec toute la volonté du monde elle ne pouvait pas y faire grand chose.
Le miroir reflétait le regard épineux qu'elle posait sévèrement sur elle-même. Elle soupira et ses poings se serrèrent sur le lavabo.
— T'es vraiment une piètre mère remplaçante, Sam...
Ces enfants lui rappelaient la petite fille qu'elle avait été. Leurs yeux pleins de jeunesse l'avaient supplié à demi-mots et elle s'était sentie obligée de leur venir en aide. Parce qu'elle savait ce que c'était que d'être seul, livré à soi-même dans ce coin fou des États-Unis.
Mais plus le temps passait et plus elle se demandait si tout ça avait été un bon choix. Elle n'était ni riche, ni responsable. Jamais elle n'avait voulu devenir mère. À vrai dire elle n'avait jamais eu d'autres modèles maternels que ceux qu'on voyait dans les séries télévisées.
Mais elle s'était promis de faire de son mieux. Et c'est ce qu'elle ferait jusqu'au bout du chemin.
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WATERPROOF
Teen FictionDetroit, 1992. Quatre ados, une bande de gosses comme les autres en apparence. Mais si l'on s'était bien arrêté en les rencontrant, peut-être aurait-on pu remarquer qu'ils étaient quatre esprits malades. Eux-même n'en avaient même pas conscience, et...