De l'essence, un briquet, ils avaient tout ce qu'il leur fallait pour embraser un bâtiment. Ils l'avaient fait, un an plus tôt. Un entrepôt abandonné. Et ça avait fait quelque chose à Miles.
— Eh, Danny. Ça te dirait de brûler un truc cette nuit ?
Il avait envie, non- il avait besoin de foutre le feu à quelque chose. C'était comme une nécessité. Il devait voir un immeuble, une voiture ou même un simple lampadaire flamber. Il avait besoin de voir des flammes danser au creux de la nuit, rien que pour lui. Il avait besoin de sentir cette odeur de plastique cramé lui monter à la tête.
— Non mec, je veux éviter les problèmes en ce moment. Mon père a menacé de m'envoyer en pension à la prochaine connerie que je ferai. J'attends un peu que l'idée lui passe avant de tenter quoique ce soit.
— Roh, c'est pas cool. Je vais pas le faire tout seul quand même.
Daniel haussa les épaules en mettant son casque sur ses cheveux châtains-roux. Puis il démarra d'un coup de béquille sa bécane toute pourrie.
— Désolé bro, on se voit demain.
Un signe de la main, de la fumée noire, et Miles se retrouva seul, assis sur la borne incendie devant son immeuble. Il soupira puis monta les escaliers pour rentrer chez lui.
"Une brusque chute de la pression atmosphérique nous promet pour les prochains jours de fortes précipitation sur tout le nord de la côte est. Habitants de Detroit, New York jusqu'à Philadelphie, prévoyez vos parapluies pendant toute la semaine parce que ça va tomber des chiens et des chats-"
Samantha Jones venait d'éteindre la radio de la cuisine. Miles jeta son sac de cours sur son lit superposé après lui avoir adressé un bref salut.
Il retira sa veste et ses vieilles baskets, puis s'installa à même le sol avec sur ses genoux un petit carnet. Ses doigts parcoururent les pages blanches alors que son autre main allumait le poste cassette placé au pied du lit. De la musique house résonnait dans la chambre, pas trop fort, juste pour le mettre dans l'ambiance souhaitée. Son stylo sans bouchon se mettait alors à tracer des lettres, des mots, des phrases. Et sans vraiment s'en rendre compte, ses phrases devenaient des vers, des mots criants et des mots rieurs. Ça devenait de la poésie.
Une première strophe, une deuxième puis une troisième et l'esprit s'habituait peu à peu à cette gymnastique. Les lignes se chevauchaient, les mots se remplaçaient au fil des relectures et bientôt le titre s'imposait au garçon comme une évidence.
Après une énième correction, Miles fut satisfait et se mit debout. Au milieu de la chambre, seul, il prit une grande inspiration.
Lire à voix haute ses textes demandait du courage, c'était comme la concrétisation de son œuvre. Dire les choses écrites sur le papier, c'était l'achèvement du processus qui faisait qu'un artiste assumait son texte complètement. En tant que rappeur en herbe il était coutumier de ce genre d'exercice, qu'il s'agisse d'un texte de chanson, ou alors comme maintenant d'une simple poésie pour s'entraîner à manier les mots.
Je suis
Juste un p'tit, capricieux d'la vie
Qui attend seulement le moment où la pluie
Timide
Viendra se mêler aux larmes d'ennui
De Detroit qui
A minuit
Se sent salie par la suie
Mais le béton qui luis
Sous la lune en catimini
En aucun cas ne fuis
Et la pluie qui s'enfuit
Dans les égouts va mourir
Minable
Car Detroit n'est pas lavable
Face à tous ces malheurs
Qui l'accablent
La pluie aux gouttes intraçables
Ne reste qu'une incapable
Et le goudron comme mon âme
Reste imperméable
— Bien, bien. Je vois que t'es toujours aussi doué Milo.
Deen venait d'entrer dans la chambre pour poser ses affaires.
— Ça mérite d'être amélioré encore, mais c'est un début. Tu aimes ?
— J'y connais pas grand chose en rimes tu sais, mais de ce que j'ai entendu ça sonnait plutôt bien. T'as du talent frérot.
— Merci bro.
Un check, un sourire, c'était leur quotidien. Miles et Deen étaient deux frères de cœur.
Milo venait d'une famille d'afro-américains impliqués dans des histoires de drogue. Son père s'était fait arrêter par la police et il était mort lors de son interpellation de deux coup de feu dans le dos. Sa mère avait foutu le camps en abandonnant tout derrière elle et le garçon avait dû quitter leur maison au bout de deux semaines, chassé par les propriétaires.
Deen quant à lui avait deux parents alcooliques originaires du Texas qui venaient de se séparer. Aucun des deux n'avait voulu l'héberger, et ça n'était pas plus mal comme ça.
— Je vais aller aider Sam à préparer le repas, annonça Miles en se levant.
— D'accord, moi je vais me ranger un peu.
Après quelques secondes de flottement durant lesquelles il se demandait par quoi commencer, Deen vida son sac de sport sur le bureau. Il n'avait pas eu entraînement depuis la veille et n'avait visiblement pas pensé à ranger ses affaires. Ça sentait encore la transpiration à plein nez.
Le sac fut complètement retourné sur la table, il fallait le laver. Un tintement attira soudain l'attention du garçon et un objet de fer captiva son regard. En observant ce trousseau de clés, Deen frissonna. Puis il eut comme un flashback et une remontée soudaine de souvenirs qui lui inonda l'esprit. Il y avait décidément quelque chose qui clochait dans sa tête.
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WATERPROOF
Teen FictionDetroit, 1992. Quatre ados, une bande de gosses comme les autres en apparence. Mais si l'on s'était bien arrêté en les rencontrant, peut-être aurait-on pu remarquer qu'ils étaient quatre esprits malades. Eux-même n'en avaient même pas conscience, et...