★ T H U N D E R ★

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— Lory, tu n'aurais pas oublié quelque chose ? 

 — Quoi donc ? 

 Miss Jones haussa un sourcil et indiqua le balcon de la pointe de son menton. 

 — Et merde, la poubelle... 

— Profites-en pour la descendre, tête de linotte. Ce sera fait comme ça. 

 Dolores traîna des pieds à travers le salon obscur. Dehors, le soleil s'était déjà couché entre les bâtiments. Les ombres de la lune et des lampadaires se réverbéraient sur la ville poussiéreuse. 

 La porte grinça des dents lorsque l'adolescente sortit sur le balcon. Accroupie, Dolores commença à rassembler les déchets épars du bout des doigts. L'odeur de poisson qui se dégageait du sac plastique lui donnait de légères nausées alors vite, elle enroula bien solidement le fil autour de l'ouverture et sortit du balcon en le tenant dans la main droite. 

Ses vieilles adidas semblaient avoir fait la guerre de Sécession. Elle les enfila malgré leurs semelles béantes et leurs lacets délavés. La porte de l'appartement en se refermant derrière elle fit un boucan d'enfer qui résonna dans la cage d'escalier. Les lumières crépitèrent après quelques secondes d'obscurité et on put bientôt voir clairement le carrelage jaune noirci de saleté. 

 Sept étages. Cent-quarante-et-une marches à descendre en tenant la poubelle à bout de bras. Dolores fronça les sourcils de dégoût après quelques pas en voyant un chemin de petits cercles sombres se dessiner au sol sur son trajet. Le sac gouttait de jus de poisson.

L'odeur était vraiment immonde. Arrivée au local à poubelles en bas du bâtiment, Dolores balança les ordures dans une de ces grandes bennes vertes qui sentaient la merde. Puis elle étira ses membres endoloris.

 "j'aurais dû prendre une veste, le vent se lève„ 

 Ça faisait longtemps qu'elle n'avait pas eu la chair de poule. En sortant du local elle observa la peau de son bras droit : les poils se dressaient bien droits, stressés par la baisse soudaine de température. Un cri résonna dans la nuit. 

Un court cri d'alerte, accompagné de lumières rouges et bleues. Aussitôt, Dolores ressentit comme de l'angoisse au fond de ses entrailles. Un coup de feu résonna, puis un deuxième. 

 Le mieux à faire dans ce genre de cas, c'était de baisser la tête et de tracer sa route jusqu'à chez soi. C'est ce que fit la jeune fille. Du coin de l'œil elle s'assura d'être assez éloignée de la scène et pressa le pas jusqu'à l'intérieur du bâtiment. 

 Puis, le cœur lourd, elle remonta les marches une par une. Quelqu'un était-il mort ce soir ? 

 — Ça va ? J'ai entendu des coups de feu dehors, tu n'as rien ? 

 — Ne t'inquiètes pas, Sam. Je vais dormir maintenant. 

 — D'accord. À demain Dolly. 

 — À demain.

Samantha Jones regarda la jeune fille disparaître dans le couloir puis termina de ranger la cuisine. Elle traversa ensuite le salon et se dirigea vers la salle de bain pour se préparer. Ce soir elle travaillait, comme tous les soirs depuis maintenant quatre mois.

De la lumière s'échappait de sous la porte de la salle d'eau. Elle frappa trois légers coups et entra après avoir entendu la voix de Rita lui permettant d'entrer. Cette dernière était penchée au-dessus du lavabo et s'appliquait devant le miroir à se démaquiller la figure.

Miss Jones s'assit sur le bord de la baignoire.

— Rita, je t'avais demandé de ne plus sécher de cours.

— Mmh. Mais j'aime pas les cours, c'est naze.

— Si tu ne vas plus à l'école, qu'est-ce que tu vas faire de ta vie ?

— Je me débrouillerai bien d'une façon ou d'une autre.

— Rita, c'est sérieux. Tu sais comment finissent la plupart des gosses qui se déscolarisent ? Sans-abris ou au placard.

La jeune latino-américaine lui lança un regard accusateur.

— Tu n'es pas la mieux placée pour me donner des leçons, cracha-t-elle.

— Détrompe-toi, idiote. Je suis au contraire très bien placée pour ça.

Rita le savait déjà. Samantha Jones avait arrêté l'école à 14 ans. À 16 ans elle vendait des substances illicites pour des gens de son quartier. À 17 ans elle atterrissait dans une prison pour mineurs. Ça avait été la descente aux enfers.

Elle connaissait le goût de l'échec, celui du dégoût, de la cocaïne, du goudron et du sang, et bien qu'elle ne soit âgée que de 28 ans, elle avait vécu bien plus que le commun des mortels.

— Je ne veux pas que tu finisses mal, Rita. Je sais que la vie ne t'a pas fait de cadeaux jusqu'ici, mais tu dois persévérer pour pouvoir t'offrir le meilleur avenir possible.

La jeune femme frotta affectueusement le dos de la jeune fille. Elle qui aurait tant voulu qu'on lui dise de telles paroles, à l'époque, elle espérait que ses mots pouvaient avoir un impact sur sa petite protégée.

— Allez, va dormir.

— D'accord... passe une bonne soirée Sam...

La jeune femme sourit en regardant Rita sortir. Puis elle resta un instant rêveuse, s'appuyant sur le rebord de la baignoire, avant de finalement se décider à enfiler son uniforme. Ce soir il fallait faire de l'argent.

WATERPROOFOù les histoires vivent. Découvrez maintenant