Prologue

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La ville est loin derrière moi à présent, je ne distingue plus les bâtiments. Seules les lumières s'échappant des maisons me permettent d'encore la deviner. Mon souffle est trop court, je m'impose une cadence démentielle, car je sais qu'ils vont finir par me rejoindre. Quitte à baigner dans la merde, autant aller au bout de mon dessein. Bon, d'accord, les conditions sont loin d'être idéales et je suis clairement en train de fonctionner à l'opposé de ce que je prône habituellement. Le danger rôde autour de moi et j'y fonce tête baissée en toute connaissance de cause.

Faut vraiment être débile pour s'être tirée comme ça en pleine nuit, Charlie! Quelle idée de ne pas avoir attendu sagement que la situation se décante ! Trop tard : j'ai déjà pris le chemin qui me conduira jusqu'à mon but. Si je ne traîne pas, je devrais l'atteindre avant le lever du jour. Ils n'ont pas ma connaissance du terrain, ils ne me rattraperont pas. J'en suis sûre. À moins que je ne tente de me convaincre que mon projet a une chance de réussir en dépit des militaires à mes trousses et leur meute de chiens dont je perçois les aboiements au loin.

Allez, Charlie, avance! Le matériel pèse lourd sur mon dos, mais je ne suis pas inconsciente au point d'être partie sans rien. Ça a été un jeu d'enfant de récupérer tout ce que j'avais planqué il y a quelques jours. Un éclair de génie machiavélique m'a permis de me passer de mon guide pour ne pas dépendre de lui. Bien m'en a pris ! Enfin, je l'espère.

De toute façon, ça ne va durer que quelques heures. Tout devrait bien se dérouler, même si le ciel est noir comme de l'ébène et que je n'y vois pas à deux mètres. Ma mémoire reste mon seul GPS. Je m'arrête un instant pour scruter mon environnement. La nuit, tous ces putains de sapins se ressemblent et je cherche une trouée évidente à la lumière du jour, mais qui demeure imperceptible à mes yeux pour le moment. Ma boussole sur le téléphone mentionne que je garde la bonne direction et si les données satellites s'avèrent correctes, le sentier devrait s'offrir à moi au nord-est. À tâtons, je me guide de tronc en tronc. Si mes informations sont justes, une pancarte en bois, clouée sur l'un d'eux, devrait confirmer l'itinéraire à emprunter. Après avoir scruté sept arbres, je tombe enfin sur celui qui m'indique que la partie la plus dure du périple va débuter. Dans une centaine de mètres, je devrais quitter la forêt pour attaquer le chemin rocailleux menant à la ligne de crêtes. C'est lui qui va m'amener vers mon Graal, mais le dénivelé va me faire souffrir, c'est une certitude.

Avant d'entreprendre l'ascension, je tends l'oreille en direction du village. Les aboiements me paraissent encore à bonne distance. Mes prévisions semblent justes : dans cette végétation, ils n'évoluent pas aussi rapidement que moi. Je profite de cette avance pour calmer ma respiration et avaler une barre énergétique. Quelques gorgées d'eau salée m'apportent une hydratation salvatrice. Mon téléphone ne me permet pas de prévenir mes amis de ce qu'il m'arrive. Le réseau se trouve peut-être sous contrôle et j'ai préféré couper l'itinérance des données. Je m'autorise à ne consulter que la boussole, car de toute façon, ils savent où je me dirige. Ils ne connaissent pas le sentier que j'emprunte, cependant, et c'est ma planche de salut si je veux aller au bout. Ma go-pro est fixée à la lanière de mon sac, mais avec cette pénombre, les images ne seront sûrement pas exploitables.

Mon balluchon solidement harnaché à mon dos, je reprends ma route. Mes chaussures, qui m'ont pourtant accompagnée sur de nombreuses ascensions, glissent sur les cailloux. Le dénivelé se révèle plus rude que je le pensais. J'espère vraiment que mon guide ne m'a pas induite en erreur et que je n'aurai pas besoin de m'encorder.

Une lueur à l'horizon m'indique que le soleil est en train de se lever. J'y suis presque ! Mes jambes tremblent frénétiquement, mes poumons sont en feu et mes mains sont écorchées à force de m'être rattrapées pour éviter plusieurs chutes. Mais j'y suis presque. Normalement, le sommet devrait se trouver juste derrière cette arête. Une courbe et... un groupe d'hommes m'attendent. La désillusion résonne si fort que j'en tombe à genoux. Putain, il me restait à peine cinq cents mètres pour toucher au but. Les larmes roulent sur mes joues gelées, il m'est impossible de réfréner les secousses d'épuisement qui me gagnent. Les soldats m'ont aperçue, ils crient pour prévenir leur chef. C'est fini. J'ai échoué.

Bienvenue au Sweetenstein - Tome 1 - EditéOù les histoires vivent. Découvrez maintenant