À la croisée des suicides [Taegi]

Chapitre 15

Taehyung abreuva son âme sombre de tout ce soleil, de toutes ces couleurs, de toutes ces merveilles. Quel bonheur pour lui de découvrir un endroit si splendide : de vastes pelouses s'étendaient à perte de vue, plantées d'arbres auxquels le printemps avait rendu le fier feuillage. Tout semblait renaître, et quelque part en lui, Taehyung crut sentir également quelque chose éclore, quelque chose qui, mystérieusement ou non, le poussa à tourner un regard vers Yoongi.

Ce dernier, à peine quelques mètres derrière lui, le suivait sans presser le pas. Il désirait simplement prendre le temps d'observer cette jolie nature de laquelle il s'était coupé de si longues années. Il goûtait avec délice à ces beautés qu'il redécouvrait.

Son cadet quant à lui ne gardait qu'une chose à l'esprit : courir, courir le plus vite possible pour fuir loin des problèmes. S'échapper de ses peurs, ses craintes, quitter ce monde de larmes pour s'abandonner à celui qu'il partageait avec Yoongi. Le garçon, d'ailleurs, se tourna de nouveau vers son aîné et, un immense sourire aux lèvres, il lui adressa de larges signes.

« Hyung ! l'appela-t-il. Viens vite, dépêche ! Je veux voir les endroits des photos !

- On est pas à la minute, lança à son tour Yoongi. On a tout l'après-midi.

- Mais je veux les voir tout de suite, allez ! »

L'enthousiasme de Taehyung attendrit à ce point son ami que ce dernier pressa le pas malgré son manque d'envie. Le plus jeune gloussa, ravi, lorsqu'il approcha. Il tendit l'index en direction d'un chemin.

« Je veux aller par là, s'il te plaît ! On peut, dis, on peut ?

- Tu vas où tu veux, Tae, moi je te suis.

- Trop cool ! On y va ! »

Sans même réfléchir un seul instant, Taehyung attrapa la main de Yoongi afin de l'inciter à accélérer. L'autre se laissa conduire, un sourire espiègle sur le visage. Le cœur du cadet bondit dans sa poitrine : sous le chaud soleil de mai, en compagnie de son sauveur, il se sentait comme un gamin qui souhaitait tout explorer du monde qui l'entourait. Il débordait d'une inexplicable joie de vivre : avoir été contraint si longtemps à demeurer sage et discret l'avait étouffé. Il ne renaissait pas simplement, il profitait en vérité de l'enfance à laquelle il n'avait jamais été autorisé : une enfance banale, heureuse, loin de celle, stricte, que sa famille lui avait imposée.

Désormais, il pouvait s'allonger dans l'herbe, plonger un pied dans l'eau, parler fort, s'abreuver de tout ce qui se dégageait de cet endroit enchanteur. Jadis, quand ses parents l'amenaient au parc, il lui fallait absolument rester auprès d'eux, se taire et se tenir bien droit. C'en était devenu suffocant, année après année.

Jamais il n'avait acquis la moindre liberté, il avait toujours été gêné par cette camisole que l'éducation qu'il avait reçue avait formée autour de son corps. Il avait grandi emprisonné, si bien que la découverte de sa sexualité l'avait aussitôt paniqué : comment une famille comme la sienne aurait-elle pu accepter pareille abomination ? Ses parents l'aimaient, il en avait bien conscience... mais ils aimaient le Taehyung sage qu'ils avaient dressé plus qu'élevé. Il avait eu l'occasion de s'en rendre compte lorsqu'il leur avait avoué ses sentiments et qu'ils l'avaient méprisé pour ça. Il ne se conformait pas à ce qu'ils avaient désiré faire de lui, il ne méritait donc sans doute plus de rester leur fils.

Il pouvait bien allait se suicider, ça ne les regardait plus.

Ces monstrueuses pensées avaient longuement occupé l'esprit du pauvre jeune garçon, mais elles l'avaient déserté aujourd'hui qu'il avançait avec Yoongi. Main dans la main, ils se hâtaient dans une direction parfaitement aléatoire. Le seul fait de courir leur donnait la sensation de délivrer leur cœur. Ça paraissait si agréable de filer sans s'inquiéter de rien ! C'était l'expression de la plus pure insouciance, celle qui avait toujours habité l'âme de Taehyung, celle qui y avait toujours été enfermée.