Yoongi ouvrit les yeux. Le soleil était levé. Ses rayons encore faibles illuminaient un peu la chambre. Juste assez pour qu'il puisse distinguer Taehyung. Il dormait encore. Mais c'était bizarre. Il avait le contour des yeux rougi. Ça lui arrivait parfois, à Yoongi. Seulement quand il avait pleuré. Là, oui, il avait les yeux rouges. Il ne pleurait pas beaucoup. Quand est-ce qu'il avait pleuré pour la dernière fois ? Il n'était plus très sûr. Il était déjà au Japon, à l'époque. Ça, il en était sûr. Mais pourquoi avait-il pleuré ? Il ne savait plus très bien. Jadis, la musique aussi, ça lui tirait parfois une larme. Il était émotif. Il l'avait été. Il ne l'était plus. Désormais, il s'ennuyait. Il n'était plus émotif. Du moins si, il ressentait bien l'ennui. Et ça l'ennuyait.
Taehyung poussa un soupir. Il serrait un oreiller contre lui. Yoongi l'avait presque oublié. Il se perdait souvent dans le torrent de pensées qui grondait dans son esprit. C'était bizarre, ça aussi. Il pensait beaucoup. Pourtant, il s'ennuyait. Est-ce qu'il devrait penser moins ? Penser moins, ça lui permettrait peut-être de se sentir heureux. Il se contenterait d'agir. Il ne penserait plus. Il ne s'ennuierait plus. Il pensait à trop de choses.
Mais seulement quand Taehyung n'était pas là pour le divertir. Oui, Taehyung le divertissait. C'était sympa. Il avait ce quelque chose d'attachant qui plaisait à Yoongi. Il était tout son contraire, en fait. Émotif. Sensible. Vulnérable. Soucieux du regard des autres. C'était bien la preuve qu'il n'y avait pas un profil type pour être dépressif. Ça pouvait tomber sur n'importe qui. Enfin, Yoongi ne savait pas vraiment s'il était dépressif. Il continuait de se poser la question. Et quelle question. Ça ne devrait pourtant pas être difficile d'y répondre. Mais il ne pouvait pas répondre.
Lui, il ne se sentait pas dépressif. En vérité, il ne se sentait pas grand-chose. Le vide total. La plus parfaite vacuité. C'était ça, qu'il ressentait. Pas de tristesse, mais pas de bonheur. Pas de douleur, mais pas de plaisir. La vie était dépossédée de tout ce qui la rendait belle. Pour autant, elle n'était pas laide. Elle n'était rien. Alors Yoongi avait voulu s'en aller. Ce n'était pas intéressant, le vide. Ça l'ennuyait.
Or, il y avait eu Taehyung. À un monde terne il avait apporté de la couleur. À un monde nuageux il avait apporté de la chaleur. Il avait agi comme un soleil. Yoongi n'avait toujours pas l'impression de ressentir quoi que ce soit. Mais parfois... si, il y avait par moments ce bref éclair de bonheur qui le traversait. Quand Taehyung souriait. Quand Taehyung le complimentait. Quand Taehyung s'intéressait à lui. Quand Taehyung mangeait en face de lui. Quand Taehyung dormait auprès de lui.
Quand Taehyung demeurait auprès de lui.
C'était fugace, mais Yoongi en était convaincu. Ces derniers jours, il avait trouvé une source de joie. C'était une source fragile. Peu importait. Au moins, il en ressentait parfois. C'était tout ce qui comptait. Il aimait vraiment bien Taehyung. Il aimait vraiment bien avoir quelqu'un à ses côtés. Quelqu'un de si opposé à lui qu'il parvenait à apporter un petit je ne sais quoi à la morosité de son existence. C'était Taehyung. Il trouvait tout le monde ennuyeux. Mais pas Taehyung. Taehyung était différent. Pas parce qu'il avait souhaité en finir, non. Il était différent autrement.
Il était différent parce que malgré les souffrances, il continuait de ressentir. Il était différent parce que malgré la douleur, il ne voulait pas s'en aller. Il était différent parce que malgré tout ce qu'il avait enduré, lui, il avait la force de sourire. Une force que Yoongi n'avait plus. La fatigue l'avait dominé. Il s'était laissé emporter par le courant. Taehyung, lui, il luttait. Il ne se laissait pas faire. Il était vraiment courageux...
« Hyung ? »
L'appelé rouvrit les paupières. Il les avait fermées quand il avait commencé à se laisser embarquer dans ses songes. Taehyung le regardait. Ses yeux fatigués semblaient l'interroger. Yoongi lui posa la question qui lui brûlait les lèvres.
« T'as pleuré ? »
Même pas un bonjour. Il avait oublié. Pas grave. Il y avait plus important que la politesse. Il y avait les larmes de Taehyung.
« Oui. »
Il le savait.
« Pourquoi ? »
Taehyung afficha une moue hésitante. Il répondit pourtant.
« En fait... non, laisse. C'est con. On peut aller manger ?
- Tae, parle. »
Il n'avait pas parlé de manière autoritaire. Il avait simplement semblé las. Il se doutait que Taehyung ne voudrait pas parler. Et il savait que malgré tout il en avait envie. Il avait envie de parler. Alors il le faisait parler, tout simplement. Ça ferait du bien à Taehyung.
« Hyung...
- Aie pas peur.
- C-C'est... ta lampe... elle s'est éteinte, cette nuit. »
Yoongi parut surpris. Il se tourna. Taehyung baissa les yeux.
Ah oui, c'était juste. Sa lampe était éteinte.
~~~
Taehyung se sentait minable : un garçon de son âge, effrayé par l'obscurité. Or les ténèbres, si elles le terrifiaient, il ne pouvait pas s'empêcher d'y succomber. Ainsi, toute la nuit, il avait tremblé, parfois pleuré, et il n'avait pas réussi à fermer l'œil avant le lever du soleil, une heure plus tôt environ.
Lorsqu'il admit cela devant Yoongi, ce dernier opina doucement et, assis en tailleur sur le lit, il lui adressa un maigre sourire qui se voulait rassurant.
« Alors rendors-toi, lui conseilla-t-il. Tu dois être crevé, te lève pas maintenant. Je vais bosser sur mes compos ce matin, comme ça on passera l'après-midi ensemble quand tu seras levé. Ça t'irait ?
- C'est vrai ? T'accepterais ?
- Ouais, ça me pose aucun souci.
- C'est vraiment gentil, merci beaucoup. »
Ce lever de soleil signait le début de leur troisième journée tous les deux. Ce n'était rien, trois jours, alors que Taehyung éprouvait d'ores et déjà l'impression que ces quelques heures avaient changé sa vie. En quoi ? Il n'en était pas certain. C'était si profond, si sombre, si inexplicable, pourtant si tangible, si clair, si évident. Yoongi, tout simplement. Taehyung l'admirait, il posait sur lui des yeux... amoureux ? Incapable de l'affirmer malgré ce que son cœur lui murmurait avec tendresse, le jeune garçon ferma les paupières après s'être de nouveau étendu sur le lit.
Il se sentait si serein quand Yoongi demeurait auprès de lui pour le rassurer et lui répéter qu'il ne méritait pas ce qui lui était arrivé. Il se sentait si serein quand enfin quelqu'un lui témoignait un peu d'affection. Oui, il se sentait si serein pour la première fois depuis si longtemps...
Une musique s'éleva, douce : Yoongi n'avait pas branché son casque, si bien que Taehyung pouvait profiter de cette mélodie qu'il s'amusait à modifier à son gré dans l'espoir de la rendre parfaite. Peu importait le changement qu'il y apportait, pourtant, son cadet la trouvait déjà parfaite. Elle sonnait d'une manière sublime, et il avait hâte d'entendre la voix de son ami par-dessus cet instrumental délicat qui reflétait si justement sa personnalité.
Derrière son masque, en effet, Yoongi était quelqu'un d'extrêmement attachant, protecteur, et travailleur. Une fois qu'il était concentré sur sa composition, rien ne pouvait l'en extirper avant des heures. Il se donnait corps et âme pour sa passion... mais en était-ce une ? Le musicien avait expliqué s'ennuyer alors même qu'il vivait de ses morceaux. Y avait-il quelque chose qui l'empêchait de se s'épanouir complètement dans son art ?
La perte de cette si puissante passion était-elle la raison de sa lassitude destructrice ?
Cette interrogation tourna un court moment dans la tête du jeune garçon : jusqu'à ce qu'il s'endorme.
Les yeux clos, il était sur le point de s'abandonner au monde des rêves quand il lui sembla sentir un regard se fixer sur lui. Un regard bienveillant. Il voulait croire que son instinct ne le dupait pas et que Yoongi était bel et bien en train de le couver du regard.
Il ne trouva que quelques instants pour se poser la question, car très rapidement le sommeil prit le dessus et il s'assoupit.
Comme c'était agréable...
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À la croisée des suicides [Taegi]
Fanfiction[Terminé] Taehyung était un étudiant rejeté par son entourage, il s'envolait pour le Japon avec un cœur brisé et une valise presque vide. Il avait pris un aller simple mais aucune affaire, de toute façon il ne comptait pas s'installer où que ce soit...