À la croisée des suicides [Taegi]

Chapitre 26

« C’est vrai ? » demanda Taehyung, l’œil brillant de bonheur.

Entendre Yoongi affirmer avec une telle sincérité qu’il le trouvait beau en dépit de potentielles cicatrices, ça l’émouvait. Parce que de cette manière, s’il devait conserver la moindre marque, chaque fois qu’il se déshabillerait et qu’il les verrait, il n’y percevrait pas le symbole de la haine de son père, mais de l’amour que lui portait Yoongi en lui témoignant son affection malgré ces immondices.

Ce dernier, en effet, ne regarderait jamais ces traces comme laides, il ne laisserait pas les craintes et la honte de son petit ami l’emporter. Ces traces, elles ne devaient pas signifier que Taehyung ne devrait jamais coucher avec un garçon… elles devaient au contraire signifier que Taehyung ne pourrait se donner qu’à celui qui accepterait à la fois ces cicatrices et ce qu’elles représentaient : un passé douloureux qu’il lui fallait encore surmonter.

Ainsi, ces mots, ils demeureraient sans doute à jamais la plus éclatante preuve d’amour qu’on ait pu lui apporter.

« Bien sûr, opina Yoongi, tant que je peux voir ce joli sourire, le reste importe finalement si peu. Taehyung-ah, t’es tellement beau. C’est pas ce que ce connard t’a fait subir qui va y changer quoi que ce soit. Je t’aime…

- Hyung… »

La tête réfugiée dans le cou de son copain, toujours assis sur son bassin, Taehyung affrontait comme il le pouvait la vague d’émotions qui le submergeait à la manière d’un tsunami enragé. Yoongi lui affirmait implicitement mille choses magnifiques avec cette déclaration.

La voix tremblante, le cadet lui murmura à son tour son amour, profondément touché par la tendresse qui se dégageait de ce moment qui avait pourtant commencé de manière difficile. Son petit ami lui caressait le dos avec une douceur telle qu’en dépit de son vêtement, Taehyung en avait des frissons. Qu’est-ce que c’était bon, de redécouvrir à quoi ressemblait l’affection, la vraie, pas celle qu’il avait cru connaître.

Son père l’avait après tout battu parce qu’il l’aimait, parce qu’il voulait le protéger contre lui-même… Taehyung avait un instant songé, cette nuit-là, que ça ressemblait peut-être à ça, l’affection. Taehyung avait un instant songé, cette nuit-là, que c’était peut-être parce que son père l’aimait réellement et avait peur pour lui, qu’il l’avait fouetté. Même s’il avait presque aussitôt compris qu’il avait tort, que son père avait commis un acte barbare, il avait imaginé l’espace de quelques courtes secondes que celui qui lui avait donné naissance avait agi pour son bien.

C’était de cette manière qu’il s’était rendu compte qu’une personne qui, ayant moins de chance que lui, aurait été violentée toute sa vie, pouvait finir par confondre abus et affection. Tout simplement parce que lorsqu’on détruisait un esprit fragilisé, on pouvait ensuite lui faire avaler même les pires horreurs du monde. Heureusement que lui n’avait pas été complètement brisé, heureusement qu’il lui restait une occasion de se reconstruire, heureusement que Yoongi avait su récolter puis recoller chaque morceau de son âme meurtrie.

Il faudrait des mois, des années sans doute, pour réparer ce que quelques semaines auprès de ses parents avaient causé chez le pauvre jeune garçon. Or, chaque jour avec Yoongi permettait à Taehyung d’y croire. De croire non seulement que son copain s’occuperait de lui pour le soutenir, mais aussi que lui-même réussirait à recouvrer un mental de battant, un mental tel qu’il parviendrait à retrouver le sourire et à se sentir enfin en paix avec lui-même.

Yoongi ne pourrait l’accompagner que jusqu’à la moitié du chemin, ce serait à Taehyung de poursuivre intérieurement le travail sur lui-même s’il souhaitait gagner contre ses démons. Le jeune compositeur demeurerait à ses côtés, mais il ne pourrait pas accomplir ce que son compagnon devait accomplir seul. Guérir s’avérerait difficile, mais ça restait possible. Si son aîné le tirait vers le haut, Taehyung pressentait qu’il pourrait terminer le chemin avec lui, main dans la main, sans que Yoongi n’ait plus besoin de le guider.