14 - Les Soldats du Soleil

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Point de vue de Lenora

Le temps passait à la fois trop vite et... trop lentement.

Trop lentement, car comme tout le monde ici, j'avais besoin d'en finir. Cela faisait des semaines que ma vie ne tournait qu'autour de cela, avec cette angoisse permanente de se faire attaquer les premiers... Nous défions l'ennemi et l'ennemi nous défiait depuis des semaines, nous toisant l'un et l'autre en chiens de faïence. Les tensions étaient si fortes que j'avais la sensation de me tenir au plein milieu d'une marmite sur le point d'exploser.

Trop vite parce que... eh bien, les raisons étaient évidentes. La victoire était loin d'être gagnée, si ce n'était pour dire l'inverse. Et que se passerait-il alors ? Nous n'en ressortirions pas vivants. Seira en réchapperait peut-être, car elle lui serait certainement utile, mais... Aarin, moi, Vaeri... nous serions exécutés, et notre mort servirait de spectacle aux rebelles. Nos carcasses seraient jetées aux Ombres, et il ne resterait rien de notre beau courage.

Étais-je la seule à douter à ce point de la réussite de notre plan, alors que nous étions si près de le mettre en œuvre ? Non, je ne devrais pas. Je devrais avoir confiance. Si nos soldats ne voyaient qu'une miette de la peur qui m'habitait à cet instant... ce serait le chaos. Et même si nous risquions la mort aujourd'hui, avions-nous vraiment le choix ? L'armée d'Archaos ne faisait que grandir de jour en jour, nous ne pouvions attendre davantage. Nous ne pouvions pas nous permettre qu'ils trouvent les moyens de s'emparer des clefs, et de contrôler le noyau d'Amoris. Après tout, chaque seconde que nous passions enfermés dans nos bureaux à Danamore le rapprochait de son but, et qu'il l'atteigne serait une bien plus grande catastrophe que notre simple décès.

Ce serait la fin de tout.

Mon cœur se serra, et je me surpris à penser que ce n'était pas cela qui m'inquiétait le plus, en dépit de tout. Le visage du Général Meridiem se dessina sous mes prunelles, ses yeux chocolats me détaillant avec tendresse. Je repensai à sa main dans la mienne alors qu'il m'avait emmenée traverser les nuages. Ce matin-là, noyés dans la lumière dorée du soleil levant, nous avions contemplé ensemble notre royaume, notre maison... Sur le moment, observer mon pays m'avait rassurée, et entendre un tel guerrier parler de ses faiblesses m'avait énormément aidée à apprivoiser les miennes... mais et si, plus que ses mots, c'était simplement la personne qu'il était qui m'apaisait ? Aarin et ses sourires, sa lumière, sa gentillesse... Il était un paradoxe tout entier, car après tout, il occupait un poste requérant une grande rudesse, dont chaque occupant avait fini par perdre son cœur en route. Mais pas lui, je n'en doutais pas. Il était trop proche des autres, son amour pour le monde était trop grand. Je souris ; c'était étrange, il ressemblait beaucoup à Seira, sur ce point. C'était toutes deux des personnes qui ne craignaient pas de se montrer telles qu'ils étaient vraiment aux yeux de tous. Leur sensibilité était leur plus lourd fardeau, mais ils ne chercheraient jamais à la cacher. Ils l'acceptaient. Ils étaient qui ils étaient, sans chercher à devenir quelqu'un d'autre.

Et c'était finalement ce que je préférais chez eux. Chez lui.

Ouvrir son cœur aux autres demandait énormément de courage, et je le savais plus que quiconque. Je protégeais le mien depuis des années, ayant compris très tôt que personne n'en prendrait soin mieux que moi-même... Mais d'un autre côté, j'avais toujours su que je passais à côté de quelque chose. D'une dimension à la fois magnifique et dangereuse, effrayante, mais fabuleuse.

La première et unique fois où je m'étais autorisée à ressentir pleinement la tempête en moi, c'était avec Elyon. Il représentait tout ce que je désirais à l'époque : le pouvoir, la force, le courage, la droiture... Je lui avais avoué mes sentiments, avec une telle sincérité que me mettre nue devant lui m'aurait moins gênée. Et puis il m'avait fait comprendre que ce n'était pas réciproque, et j'en étais ressortie dévastée. Peut-être avait-il su voir avant moi que nous étions en réalité des étrangers l'un envers l'autre, et que par conséquent notre histoire n'aurait aucun sens... Et c'était vrai. Je le connaissais encore assez peu à l'époque, mais je ne m'en étais rendu compte que plus tard. Car il était loin d'être cet homme impénétrable ; c'était Seira qui m'avait ouvert les yeux sur cette partie de lui qui m'avait toujours échappée. Elle a su ramener à la vie ce bout de son cœur qu'il avait perdu en chemin... Ils sont devenus le miroir de l'autre : lui, ce bouclier, ce roc sur qui compter, et elle, une fleur de sensibilité, capable de dégeler le cœur le plus froid.

La Gardienne des Légendes ✷ Tome II. - L'EclipsisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant