lunch/lynché

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C'est pas mal pour le prix.
elle n'a pas à mettre des couverts qui ne serviront jamais, en plus, elle est entourée de bruit bruyant, qui sonne au dessus de ses écouteurs enfoncés et marie tourne sa fourchette dans la masse mousseline.

C'est toujours ce qu'on lui dit. Pour le prix, c'est pas mal, le prix, le prix, le poids en or, son poids en plomb, qui vaut quoi et ce qu'il faut faire pour valoir.

Marie n'entends plus et elle se dit que ça doit être ça de grandir finalement. ne plus se plaindre, ne plus entendre. Ressentir pareil. Le monde est rempli d'inconnus et on se laisse en devenir un.

Vraiment il n'y a pas de différence. Les adultes ne savent pas ce qu'ils font. Marie connaissait plus de choses intéressantes quand elle avait le temps de s'en rappeler. Les enfants sont bien plus adultes que les adultes, eux au moins extériorisent comme tout le monde devrait avoir le droit de le faire.

Elle apprend, elle oublie, elle travaille la mécanique, elle se répète inlassablement et elle sait que les rêves sont pour ceux qui en ont les moyens ou qui sont nés dedans.

La chance ne se distribue pas quand on aime ses parents assez pour vouloir les soutenir. Assez pour ne pas avoir le droit aux rêves.

Marie se rappelle sa première déception. elle aura le droit quand elle sera grande, aura le droit aux cheveux craies grasses, obtiendra ses propres cheveux une fois qu'elle ne sera plus la personnification d'un couple et d'une situation familiale. Et puis elle a cru que ses propres mèches étaient enfin acquises. Mais en réalité elles n'ont que changé de main. On lui a fait croire qu'elle avait le choix alors que les contrats étaient déjà signés, tiens un salaire ou ta liberté. Ton choix. Marie ne peut pas avoir les cheveux crayola. Jamais jamais.

Elle a un rictus. Peut être quand elle pourra enfin avoir le droit sur son propre corps, quand celui ci ne fonctionnera plus assez bien pour tous, alors là elle pourra avoir les cheveux crayola. En espérant que la société ne la détruise pas pour ça, en espérant que la maladie ou sa propre tête ne l'atteignent pas.

Ici les couverts se ressemblent tous. on peut en voler discrètement d'ailleurs, tout le monde qui en a besoin le fait. pour deux pièces tu manges ici ce qu'on te sert, que d'autres ne voulaient plus.

Ici les couverts se ressemblent tous, pas comme dans son tiroir chez ses parents, là où l'on est fiers de trouvailles, anciens peignes de sirènes.

Marie vivait avec un coloc il fût un temps. Elle mettait le couvert pour trois. Un pour lui, un pour son dealer et un pour la petite marie. Elle l'aimait beaucoup lui, quand ils parlaient ils avaient parfois l'impression de se comprendre. parfois. Mais comme toujours Marie s'était trompée.

Être gentil et se comprendre ne suffit pas pour la majorité. Donne une main et on te prends un bras. Donne tes mots et on te prend tes pensées. Jusqu'à ce qu'il faille se batailler pour parler dans sa propre maison.

Marie s'était trompée, mais lui aussi. Il lui avait dit qu'il ne voulait plus recommencer à fumer. Il lui avait dit que fumer depuis ses 13 ans l'avait détruit pour pas grand chose, que quand l'herbe passait c'était chez des amis, jamais la sienne. Il y croyait. Et puis il a eu des amis, des amis du semestre, des gens intelligents et intéressants. Qui se plaignaient de beaucoup travailler en mangeant des cookies financés par maman papa. Qui croyaient être plus à plaindre que les punks à côté de la supérette.Ils se plaignaient alors que la vie était juste à côté juste là, un mur entre la chambre du coloc et la chambre de marie, courbée en deux sous son propre poids.

Il en a acheté après un an à leur côtés. Il n'a plus arrêté, il n'était plus jamais là, marie ne parlait pas.

Avant ils avaient réussi à parler d'art. elle se rappelle maintenant, en glissant le couteau non utilisé dans une serviette et ensuite dans son sac, elle se rappelle qu'ils avaient parlé de la solitude paisible de peintures bleues, celles où pourtant bien qu'il n'y ait personne autour, tout semble en ordre. Elle se rappelle que sur leur balcon là, c'est le bleu qui était la lumière. Mais l'inverse d'être heureux seul dans le bleu, c'est d'être perdu au milieu d'autres verts.

Marie veut des cheveux crayola verts. Marie rentre avec le couteau de la cantine étudiante dans le sac. Marie donne cinq centimes aux punks de la supérette, elle espère secrètement qu'il va se lever et citer un poème de Rimbaud comme la dernière fois qu'elle a donné cinq centimes. Juste pour romancer sa vie au moins un peu.

marie n'avait pas été heureuse avec son coloc. Mais la seule chose que le temps réussi c'est de faire regretter des choses qui n'ont jamais été.

Marie pense qu'elle va finir seule, non elle le sait. Les parents ça ne vit pas éternellement. Les frères ça se marie.

midimidimidi do mi ti.

il est plus tard que midi.

Tu penses être adulte parce-que c'est mal vu d'être enfant.

couverts pour troisOù les histoires vivent. Découvrez maintenant