un peu de rouge sur un sol de carreaux. ce sont des carreaux moches, qui auraient du être blancs un jour, mais que les chaussures lourdes de travailleurs ont usées,charbon sur les rêves des années soixante-dix.
Il y a un peu de rouge sur le sol de la cuisine chez Marie. Ce n'est pas grand chose. Marie, elle est habituée à passer sa main dans la flamme d'une bougie et de ne rien remarquer. Et pourtant Marie elle se brise là, en préparant le diner.
Pour une fois qu'elle avait envie de préparer sa vie le soir, pour une fois qu'elle croyait sa peau assez dure pour pouvoir encaisser. Et pourtant la lame a coupé à travers ses épaisseurs d'armures, pourtant elle tient sa main, assise sur les carreaux teints du malheur de générations qui ne pouvaient plus vivre, seulement travailler.
Il y a Cesária qui chante en fond. Saudade. Marie. Saudade.
Il fait froid alors qu'elle a mis le chauffage plus haut qu'elle n'en a l'habitude.
Marie sent l'odeur comme un requin, fixant le rouge sur les carreaux moches, le rouge moche sur les carreaux moches dans son appart moche.
Petit Pays je t'aime beaucoup.
Il va bientôt falloir passer à table non?
Ils rient dans ses yeux lunaires, ils rient en fond, et Marie se rappelle les plantes en forme de cerveau, sur le rebord d'une fenêtre. Ce rebord qui ne peut plus l'abriter comme il le faisait autre fois, une fois que son corps l'a trahie, et a prit de la surface sans elle.
Marie parfois elle pense à ce que ses grands parents ont trouvé comme refuge, sur un autre continent, au soleil, au temps simple et non pas composé, aux difficultés qui en valaient la peine, aux machettes à la gorge, au rejet des autres quand obligés de rentrer à la métropole pour les soins. Mais c'était là-bas leur maison, pas dans la grisaille française, le choc de son père quand à 6 ans on lui a ici demandé si tout le monde là-bas portait un os dans le nez.
"non maman, les gens sont trop bêtes et méchants ici, je veux rentrer au soleil, chez nous" là où les peines ont une raison, là où les rires continuent de tonner sous les arbres centenaires.
Marie se pose souvent la question de la maison. La question du chez soi, et elle ne trouve pas de réponse. Cela fait des générations que dans la famille de Marie on ne sait pas où est le chez soi. Pas là bas où nous étions heureux, à cause de la couleur, pas ici où tout le monde ignore la beauté d'une vie que nous avions menée, et Marie fait ses bagages pour vivre dans le pays d'à côté couvert de nuages, un espoir vibrant dans les os, un espoir qu'elle aussi trouvera une maison là où on est mieux payé.
Petit pays, petit pays, je t'aime beaucoup.
Les carreaux sont verts maintenant.
Marie pourrait ronger ses ongles jusqu'au sens, marie sent comme un requin chaque goutte dans le parterre de son plafond.
Marie n'y voit plus de sang. Cesária lui dit de l'embrasser. Beaucoup. Beaucoup.
Elle voit ses parents sous leur lueur .
"mon enfant, on ne veut pas de nous là bas. chez nous n'existe pas."
Des braillements, et un tiraillement constant depuis son père, et le père de son père.
Les voyageurs cessent d'être "l'autre" une fois qu'on ne peut plus associer qu'un monde à leur dos. Les voyageurs deviennent seulement ça. Des voyageurs. l'autre c'est l'autre pays, l'autre village, l'autre religion. Le voyageur n'a plus de couleur, plus de pays, plus de village, ne croit plus.
Sauf que dans l'idée du collectif, il faut bien le ranger quelque part. Seul le voyageur sait que son existence se résume à partir, ne jamais rester assez longtemps. Sinon il cesse d'être.
Marie ne peut plus se payer le voyage, mais on lui fait comprendre qu'elle est étrangère où qu'elle aille, puisqu'elle a eu une famille de voyageurs.
Ils rient derrière ses paupières, il rient et la danse du rouge sur le gris semble s'éprendre du rythme, et marie, elle ne sait plus quoi faire. marie, elle dilue le rouge sur sa palette, et en fait gémir des cœurs, elle oublie que le monde est parti sans elle, elle laisse, goutte à goutte, blesser.
Saudade, marie. saudade.
Mais Marie on t'attends, dans ta vie.
rentre à la maison.
Le voyage c'est là.
Personne ne sera là, à part Cesária.
marie se demande si il y'en a d'autres comme elle, condamnés à une errance, tant dans le monde, entre deux cultures, que dans leur propre identité. Savoir que la seule attache qui vaille le coup peut lui filer entre les mains, futile vie humaine de parents qui ont trop attendu.
marie ne ressent pas pareil, requin blanc, et elle essaie de se dire que ce n'est pas grave.
Les carreaux explosent en vert, comme pour la narguer. Ce qu'elle n'aura pas.
Maman, comment vivre adulte si je n'ai pas vécu enfant?
laisse ta blessure, elle ne se fermera pas, gratte de tes ongles pointus, sorcière, gratte jusqu'à ce que la porte cède, tétanos.
ton seul ami est sur le trottoir, dans le métro, dans un monde qui parle encore ta langue, là où tu peux exister.
comment tu as fait maman, pour vivre ainsi, sans jamais être comprise.
tes erreurs déchirent ta Marie. la recrachent, l'immolent.
Opération à cœur ouvert, les pans de la peau retroussés, pincés avec des scalpels de chaque côté de son être, marie, marie saudade. marie tu saignes.
rentre à la maison. revient, laisse toi le temps de vivre, c'est le seul moyen. Mais. Mais. vivre a un prix, en tout cas pour toi, et pour toute la classe qui t'entoure. Pour d'autres, ce n'est pas le cas.
Alors tu continues de saigner marie, les pinceaux qui s'affutent, les bols blanc, les cheveux crayolas, les punks-Rimbaud, et tu viens de casser une assiette de ton ancienne histoire, alors lève toi, prépare à manger pour toi.
Saigne sur les carreaux, ils sont verts.
verre pour toi.
Alors marie met la table, met les assiettes moches d'ikéa, pas celles de sa vie.
Une pour son sang, une pour ses cheveux, une pour la petite marie.
et une pour l'envie.
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couverts pour trois
Poésieet tu m'oublieras comme toutes tes toiles, une fois que les couverts ne seront plus que pour trois, une fois que le froid engourdira ta lame, une fois que le vert triomphera du bleu.