Chapitre 1 : Un échange de bons procédés

94 4 0
                                    

La place Bosquet, qui recelait le marché en son sein, était envahie de monde cet après-midi. Les drapiers, accompagnés par les orfèvres, avaient sorti leurs plus luxueuses collections, tandis que les herboristes et les forgerons se disputaient l'accès à la fontaine à eau. De nombreux intéressés parcouraient les différents étalages à la recherche de la perle rare. Cette dernière, Goupil l'avait repéré dès que son propriétaire l'avait sorti de son écrin perlé d'or. Le rubis, aussi gros que le poing, scintillait sous le soleil écrasant. Une seule de ces pierres, vendue au marché noir, permettrait à Goupil de vivre de nombreuses années comme un gentilhomme. Le train-de-vie dont il raffolait. Emmitouflé dans sa grande tunique noire, il s'approcha au plus près de l'étal sans porter l'attention sur lui. Il était comme invisible, prêt à lancer l'assaut à la première faille. Un bourgeois empâté, accompagné de son serviteur, lui donna l'occasion qu'il cherchait. Il passa à côté du laquais, lui donna un coup d'épaule qui l'envoya s'écraser sur son maître. Par un effet de domino, ce dernier vint anéantir la moitié des échantillons du marchand. Le voleur profita du grand brouhaha qui suivit, tant sonore que visuel, pour dérober le rubis et l'écrin dans le même temps. Il les recueillit dans la poche de son dolman avant de disparaître de la scène de crime. Le temps qu'il fallut au bourgeois pour se relever, se crêper le chignon avec le vendeur avant de le rembourser, puis que ce dernier réalise enfin le vol de son bibelot le plus précieux, il était déjà loin. Si haut qu'il n'entendit pas le cri de rage qui sortit avec fureur de la gorge du joaillier. Nonobstant, il avait rejoint les toits pour ne prendre aucun risque. La ville fourmillait de bandes de hors-la-loi comme lui, et donc de soldats missionnés pour les réprimer. Le jeune homme ne voulait tomber sur aucun d'entre eux. Il sifflotait, cheveux aux vents, et sourire aux lèvres, ses pieds agiles sautillant sur les tuiles délabrées. Du bas, on pouvait croire qu'un équilibriste jouait avec la mort, et qu'il risquait de tomber à tout moment dans le vide. Mais même lorsqu'il perdait l'équilibre, il arrivait toujours à se rattraper. Il ne tombait pas. Il ne tombait jamais. C'est avec cette confiance absolu en lui et ses capacités qu'il virevoltait sur les toits en direction du marché noir. Il s'enfonçait dans la ville, dans ses entrailles les plus puantes et immondes. C'était là que la lie se battait pour un quignon de pain, et que toutes sortes de trafics sordides avaient lieu. L'après-midi tirant à sa fin, un ciel brumeux et obscur recouvrait maintenant la capitale. Le moment de la journée que Goupil préfère, la nuit tous les chats sont gris, sauf les véritables intentions des gens. Derrière leurs masques, ils dévoilent enfin leurs réels visages. En s'engouffrant dans une ruelle, le voleur aperçut du coin de l'œil de nombreux guetteurs postés aux fenêtres et sur les toits, prêts à pilonner des gardes venus faire une ronde dans le quartier. Même si la place était considérée comme une zone de non-droit, être trop prudent n'était pas du luxe. Les différents barrages ouvrirent petit à petit leurs portes, jusqu'à ce que la ruelle s'élargit. Le bataclan était autant, si ce n'est plus monumental que le marché précédent. Les marchandises les plus macabres passaient de mains en mains : biles d'ours, chanvre, rein de blaireau, opium et autres drogues, cœur de femme ... Goupil trouva enfin celui qu'il cherchait, avachi sur son présentoir, tête dans son chapeau.

- Alors vieille branche, on ne tient plus après le soupé ?

- Comme tu dis, fiston. Ce n'est plus de mon âge ces conneries lui répondit le marchand en relevant sa caboche. Qu'est-ce que je peux faire pour toi ?

- Qui dit que j'ai besoin de quelque chose ? Demanda Goupil, amusé.

- Tu ne viens jamais me voir autrement.

- C'est faux. Je t'ai vu ... tenta de se rattraper le jeune homme tandis que les secondes s'écoulaient. À l'enterrement de Pierrot tiens !

- Donc t'as besoin que mon neveu meurt pour me rendre visite ? Heureusement que j'en ai beaucoup d'autres en stock alors. Bref, fini de plaisanter. Je t'écoute.

Genèse médiévaleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant