- Ça fera 1 pièce d'argent Madame, s'il vous plaît. Merci beaucoup. Bonne journée également.
Camille avait monté sa boutique aux aurores. Elle n'avait pas l'habitude d'aller en ville et à vrai dire, elle préférait y aller le moins souvent possible. Ses récoltes avaient été bonnes, meilleures qu'escompter même, si bien qu'elle s'était convaincu d'aller au marché afin de vendre le surplus. Espérant que personne ne vienne lui chercher des noises pour son installation, elle avait présenté ses différentes trouvailles : tiges de prêle, feuilles de sauge, graines de lin, fleurs de violette, myrrhe, écorces de saule et pétales de coquelicot... À part aux alentours de son habitation, ces simples avaient subi une telle mauvaise saison que les intéressés s'étaient rués sur ses étalages aussitôt qu'elles les avaient entreposés. Ce succès avait également attiré les jaloux et un nombre croissant de murmures réprobateurs commençaient à émerger de la foule. Certaines mères éloignaient même leurs enfants commes'ils étaient en présence d'une pestiférée. Camille avait entendu les rumeurs qui circulaient à propos de la genèse d'une chasse aux sorcières, mais elle ne s'était pas plus inquiétée que ça. Les gens la connaissaient et venaient régulièrement la voir pour aider à mettre bas un animal d'élevage par exemple, ou pour soigner tel ou autre maux. Comment pourraient-ils croire qu'elle fasse preuve de sorcellerie ? Néanmoins, ce n'était pas pour ça qu'elle rechignait à se déplacer jusqu'à Deneken. Elle n'aimait pas s'éloigner de la forêt et des prés, voilà la vérité. L'absence de végétation la mettait mal à l'aise. Ici il n'y avait que pierres, tuiles, et pavés. L'impression d'être coupée de la nature. Même l'air semblait plus étouffant, moins gorgé d'oxygène.
- Vous allez bien ? Entendit-elle lui demander une femme à côté d'elle.
Camille se retourna vers le son de la voix et se retrouva face à une jeune femme tenant l'épicerie à côté d'elle. Des cheveux châtains courts, des vêtements de berger, une taille plus grande que la moyenne, elle ne ressemblait à aucune autre.
- Oui, merci. J'ai du mal à respirer c'est tout. Je n'ai pas l'habitude d'être entouré par tant de monde.
- Oh, vous êtes de la campagne vous aussi ? Vous avez du romarin ? J'essaye de mettre en place une recette de fromage avec cette herbe, mais je ne suis pas encore convaincue. Tenez, goûtez ! lui dit la jeune femme en lui tendant une coupe de fromage.
- C'est délicieux ! Répondit sincèrement Camille après l'avoir dégusté avec attention. Il s'agit du votre ?
- Oui, enfin celui de mes brebis. J'espère qu'elles vont bien d'ailleurs, j'ai dû les laisser au sommet de la colline pour la journée et je vous avoue que je suis toujours inquiète qu'il ne leur arrive quelque chose.
- Vous n'avez personne qui peut s'occuper d'elles en votre absence ? Un mari peut-être ?
- Il y avait mon époux en effet, mais il est mort du coup il n'y a plus que mes brebis et moi-même.
- Oh mince, je suis désolé, vraiment. Je ne savais pas.
- Vous ne pouviez pas savoir. Et je vis très bien toute seule. Je m'appelle Nora d'ailleurs, enchanté de faire votre connaissance lui dit-elle en tendant sa main pour serrer l'autre.
- Je suis enchanté également, moi c'est Camille. Tenez, votre romarin.
- Je vous dois combien ?
- Une autre petite part de ce fromage divin, et nous serons quitte.
- Parfait, j'aime cet échange de bon procédés s'esclaffa l'éleveuse en lui servant une copieuse tranche de pain sur laquelle reposait le précieux met.
Alors que les deux femmes continuaient à faire connaissance, un attroupement s'était formé de l'autre côté de la place. « Il s'agit de cette femme tout habillée de noir et de sa longue robe » murmura une troisième aux soldats qui l'entouraient. Tout se passa très vite. Avant même que Camille ne se rende compte de quoi que ce soit, ses bras furent tenus puis maintenus derrière elle par des brutes tandis que la milice donna l'ordre de l'emporter au poste. Ni les cris de protestation de Nora ni les débattements de la guérisseuse n'y changèrent quoi que ce soit.
La prise d'assaut du château avait ébranlé la ville de Deneken. Chacun surveillait désormais son voisin et une véritable conspiration de délation régnait entre habitants. Les coups dans le dos devenaient monnaie courante et bon nombre de concitoyens pointaient du doigt les mêmes personnes, responsables, pour eux, de tous les maux de Deneken : les sorcières. Ces créatures maléfiques étaient comme des sangsues pour la société, prêtes à aspirer le sang de ceux qu'elles ensorcelleraient. Si la situation actuelle avait tournée au désastre, les coupables ne pouvaient n'être qu'elles. Qui d'autres auraient intérêt à apporter le chaos et la destruction hormis les Servantes de Satan ? Ces pensées, partagées au plus grand nombre, étaient forgées dans le cœur d'Andrii. Ce citadin se méfiait de tout ce qui pouvait être lié, de près ou de loin, à de la superstition et de l'ésotérisme. Lui ne croyait que ce qu'il voyait, au concret. À ce qu'il pouvait toucher et frapper comme les métaux qu'il battait à longueur de journée. Spécialisé en serrurerie, il recevait néanmoins de temps en temps des commandes de plus grandes envergures. Des plastrons, des haches ou encore des épées. Il était sculpté pour ce métier. Son physique trapu et ses mains calleuses enchaînaient sans discontinue les différentes pièces à forger tout au long de la journée. Ce n'était que tard dans la nuit qu'il prenait une pause en épanchant sa soif à la taverne. Il accumulait alors ses réserves de bières au houblon pour le lendemain, afin de résister aux flammes des forges. La pièce qu'il confectionnait aujourd'hui était pour le moins insolite et inhabituelle. Cette ceinture de chasteté avait été demandé par un éminent gentilhomme de la Cour. Ce noble de condition allait devoir quitter son foyer pendant des mois, si ce n'est des années, pour un voyage au bout du monde. De peur que son épouse fasse preuve d'infidélité à son égard, il avait promis une grosse somme d'argent à Andrii si ce dernier lui forgeait cet instrument. L'appât du gain avait convaincu le jeune homme, on ne crache pas sur une rémunération équivalente à deux années de dur labeur. Il avait coulé le fer dans un moule, frappé le métal chaud pour lui donner la forme convenue, puis l'avait laissé refroidir. Il ne lui restait plus qu'à ajuster les accessoires et peaufiner les détails. L'objet était beau, son usage le rendait affreux. Il essayait de ne pas trop y penser. Cela était peut-être toujours mieux que les armes qu'on lui commandait quelques fois, et il n'était pas responsablede l'utilisation que les acheteurs font de ces créations. Cependant, il avait apposé à l'intérieur de la ceinture une petite clé dorée. Cachée de telle façon que seule la porteuse de l'appareil pourra la découvrir après quelques jours, celle-ci était la version miniature de la clé qu'il transmettrait au mari. Andrii savait qu'il prenait un risque. Il était tout à fait possible que la femme retourne contre lui cette ingéniosité, pensant mériter la possessivité de son mari. Alors que le forgeron se disait qu'il n'en avait cure et qu'il accepterait les conséquences de ses actes, il entendit des personnes toquer à sa porte. Il l'ouvrit sur deux femmes essoufflées et pressées, qui le regardait d'un air suppliant.
- Qu'est-ce que tu fais là Nora ? Demanda-t-il à celle qu'il connaissait bien.
- J'ai besoin d'une faveur Andri. Il faut que tu nous aide à nous cacher chez toi.
- Mais pourquoi ? Qu'est-ce qu'il...
- Andri ! Maintenant ! Je t'en supplie insista-t-elle en regardant par-dessus son épaule, vérifiant qu'elles n'avaient pas été suivies.
- Très bien très bien, j'ai compris. Pas besoin de crier comme ça lui répondit-il d'un ton bougon. Entrez. J'ai assez de soucis comme ça, vous n'avez pas intérêt à m'en ramener plus.
- Ne t'inquiètes pas, on sera discrètes. On a juste besoin d'avoir un endroit pour se reposer avant de partir au matin. Personne ne saura qu'on était chez toi.
- Très bien très bien. Je vais vous chercher des couvertures et des bougies. Faites comme chez vous.
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Genèse médiévale
FantasíaUne courte et dernière histoire pour une dernière année : transplantation au moyen-âge Imaginez quel serait votre rôle, votre métier si vous viviez dans une société au moyen-âge. Imaginez maintenant quels seraient ceux de vos amis. C'est bon ? Alor...