NouVies

Mémoire qui se désucre

« ...Joyeux Anniveeersaaire ! »

Le petit groupe composé d'adultes et d'enfants de tous âges poussa quelques exclamations joyeuses. Des applaudissements retentirent, lorsque la flamme des deux bougies, l'une en forme de sept et l'autre de deux, disparut sous le souffle décidé et riant d'une septuagénaire rayonnante. Tout autour d'eux, les autres convives du restaurant sourirent à leur tour, contaminés par la bonne humeur de la famille Moreau. On put même entendre quelques « Joyeux Anniversaire » de plus résonner.

Kenan était là, assis à cette grande table réservée pour l'occasion dans ce qu'il jugeait être le meilleur restaurant du port d'Erquy, « La Table de Jeanne ». Il était là, comme chaque année à cette même époque, comme toujours un 7 Juillet. Il n'avait jamais connu d'exception à cette tradition familiale. C'était ainsi chez les Moreau. Tous les ans, on fêtait l'anniversaire de la doyenne, Armelle Moreau, la grand-mère de Kenan, dans ce lieu aux grandes baies vitrées offrant une vue imprenable sur la mer. Parfois, comme c'était le cas aujourd'hui, les serveurs faisaient glisser ces immenses fenêtres, et c'était alors comme manger face à la mer. Le vent marin, brusque et salé, vous fouettait le visage et faisant s'envoler les serviettes en papier rouge. Face à ça se dressait un grand soleil pâle, parce que c'était ainsi en Bretagne, mais assez lumineux pour réchauffer vos épaules et votre visage ainsi que contrebalancer ce vent insolent.

Kenan aimait ce jour. D'abord parce que la nourriture ici était purement et simplement délicieuse - il soupira d'aise rien qu'en repensant au plat de pâtes aux trois poissons qu'il venait tout juste de déguster – et qu'il n'allait pas souvent au restaurant le reste de l'année. Pas que l'argent manque, ça non. Son père, Corentin Moreau, avait une bonne situation dans les assurances. Le jeune homme ne savait jamais vraiment expliquer le métier de son géniteur à ceux qui lui demandait. A vrai dire, cela ne l'intéressait guère. Tout simplement, pour aller au restaurant chez les Moreau, il fallait une occasion, et celles-ci étaient plutôt rares. Leur vie était calme.

Ensuite parce que cet anniversaire sonnait la réunion de tout le monde, la réunion de la famille. Bien qu'il ne la visse pas souvent, Kenan aimait sa famille. Il n'était pas le lycéen rebelle, renfermé et associable dont la plupart des parents lambdas se plaignaient souvent. Lui, c'était « un bon garçon », comme disait sa grand-mère, toujours sous le sourire fière de sa mère. Le grand châtain à lunettes rondes avec une grande famille. Son père avait deux frères et deux sœurs, et ces derniers avaient tous des enfants, excepté Nolwenn, la dernière. Les démarches d'adoptions étaient malheureusement impossibles, alors elle et sa compagne Victorine avait tiré un trait sur cette idée. Elles préféraient parcourir le monde avec des associations humanitaires, c'était leur truc. Truc que Kenan n'avait jamais vraiment saisi... Le monde, ce n'était pas vraiment son truc. Il aimait bien sa Bretagne natale, elle avait un coté familier qui était rassurant.

Le jeune comptait donc par conséquent une petite multitude de cousins de tous âges, quoiqu'il tînt le rôle du plus âgé, du haut de ses dix-sept ans. Lily était celle avec qui il s'entendait le mieux, les autres étant trop jeunes. Avec ses quinze ans d'expérience de vie, cette future journaliste people avait le don de le faire rire. Elle avait forcément quelque chose de croustillant à vous raconter, que ce soit sur les relations des stars, celles de leur lycée, ou même celles de la petite maison de retraite du coin. Les petits restaient mignons, à part peut-être Gaël. Deux et demi et déjà le pire démon que l'Univers n'ait jamais connu... Il faisait vivre un enfer à ses parents, littéralement.

Mais tous ces couples s'étaient éparpillés un peu partout en France. Résultat « l'anniversaire de mamie » et Noël étaient les seuls moments de l'année où tout le monde était rassemblé au même moment. Kenan le savait, et ne laissait jamais passer ce genre de moment, presque déjà conscient qu'ils lui seraient enlevés un jour.