Elle poussa la grande porte d'entrée de manière enjouée. Dans les secondes qui suivirent, un « je suis là ! » clair, distinct, presque chantant, résonna dans le hall. Ces mots prononcés avec la joie d'une journée qui s'était bien terminée, ne trouvèrent que le silence comme réponse. Un silence pesant. Un silence de mort.
Mais la jeune brune ne se laissa pas démonter pour autant, elle savait comment pouvaient être ses parents lorsque, eux, n'avaient pas eu la chance de voir se dérouler une aussi bonne journée que la sienne. Elle défit alors ses lacets doucement, les mollets quelques peu engourdis par ces deux heures d'athlétisme subies en guise de dernier cours ; enleva sa légère veste en jean où il était aisé de distinguer des petites taches colorés – la vie d'artiste, que voulez-vous – puis se dirigea dans le salon, les yeux fixés sur son téléphone portable.
Elle avait reçu quelques mails importants qu'elle n'avait pas eu le temps d'ouvrir calmement plus tôt dans la journée. Son sourire s'agrandit en voyant un nom prestigieux d'école d'art, contactée quelques semaines plus tôt, s'afficher à l'écran. Enfin cette réponse !
Fébrile, elle fit défiler le corps de la lettre électronique, sans même prendre la peine de s'asseoir. Elle étouffa un petit cri de joie en constatant que la réponse était positive. Oubliant le possible énervement de ses géniteurs au vu du silence toujours aussi présent, elle fila dans la cuisine, où - pensa-t-elle - elle devrait bien dégoter quelqu'un avec qui partager son émotion. Bon sang, elle était prise ! Elle allait pouvoir étudier où elle le souhaitait ! Etudier l'art, de surcroit ! Cette journée était vraiment parfaite... Même une énième dispute parentale ne pourrait gâcher cela et, s'il le fallait, elle célébrerait cela seule.
La jeune fille était habituée à être l'unique rayon de soleil de la maison. Encore plus ces derniers temps, d'ailleurs. Elle ne saurait même plus dire le nombre de fois où, au lieu de laisser couler ses larmes, elle avait souris, à l'entente de ces cris. Sourire, c'était son moyen de s'en sortir, de garder la tête hors de l'eau, de ne pas sombrer. Elle était heureuse pour oublier toutes les raisons qu'elle avait d'être triste, c'était ainsi qu'elle fonctionnait depuis des années.
Il y avait des jours où cette mission était plus dure que d'autres. Par exemple, il était toujours plus simple de sourire à pleine dent un jour où une odeur de biscuits à la vanille s'échappait de la grande cuisine immaculée, dans laquelle sa mère l'attendait, elle aussi, avec des yeux pétillants. Et il était plus difficile de mettre en application son mojo quand cette même pièce était parsemée d'éclats de verre ou, parfois, de gouttes ou de traces écarlates.
Finissant de poser toutes ses affaires, la jeune brune s'avança encore un peu plus dans son chez elle silencieux. Toujours les yeux rivés sur son téléphone pour regarder ce qu'elle avait manqué lors de la journée de cours, elle traversa le salon. Elle émit un petit couinement lorsque son pied simplement recouvert d'une chaussette colorée s'enfonça dans quelque chose d'agressif. Sa tête se baisse immédiatement vers le sol, jonché d'éclats de verre de différentes tailles. Instinctivement, elle retira le minuscule bout s'étant coincé dans son talon, une perle écarlate roula et s'écrasa par terre.
Mais elle n'y fit pas plus attention que ça, trop obnubilé par les dizaines d'objets brisés au sol. Des verres, des assiettes, les vases du grand buffet, tout semblait y être passé. La lycéenne frissonna. Ce n'était pas bon signe, pas bon du tout. Ce qui l'effrayait, ce n'était pas les objets cassés, ça, elle avait l'habitude d'en retrouver un certain nombre dans la poubelle ou dans les paniers destinés au recyclage. Ce qui l'effrayait, c'était le fait que tout était encore par terre, et ça, ce n'était pas habituel.
Ses parents étaient plutôt du genre à vouloir conserver les apparences, surtout devant leur fille. Elle était témoin de peu de chose, juste assez pour savoir que ses parents se disputaient souvent, et que cela dégénérait parfois. Cependant, sa mère mettait toujours un point d'honneur à expliquer à sa fille que tout « irait mieux après », que, cette fois, « c'était la dernière », car ils « avaient fait le point ». Ce n'était rien de grave, ça n'avait jamais rien été de grave. Ça ne pouvait pas être grave.
VOUS LISEZ
NouVies
Truyện NgắnUn dédalle de situations, de personnages, face à la vie de tous. Ce recueil de nouvelles parcourt toutes les possibilités, tous les rêves, et désillusions que peut offrir cette immensité qu'est l'existence humaine. Reprenant le principe même du genr...