3. Plan B

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CAÏ

Le nez pendu au plafond de sa chambre, Caï réfléchissait à l'excuse qu'il donnerait à ses amis concernant ses blessures. Comme prédit, William l'avait malmené et, contrairement à d'habitude, les marques qu'il avait laissées sur sa peau ne s'étaient toujours pas estompées malgré la semaine qu'il venait de passé, caché dans sa chambre à l'abri des regards.

Les trois premiers jours avaient été les plus difficiles. Aucune position n'allégeait sa douleur et même les calmants semblaient n'avoir aucun effet sur cette dernière. Son corps était dans un tel piteux état qu'il avait dû rester couché la semaine entière, minimisant ses efforts au stricte minimum.

Le point positif était que sa convalescence lui avait permis d'éviter les entraînements. Ainsi que son père. Les seules personnes qu'il avait côtoyées ces derniers jours étaient Caroline, qui lui préparait de succulentes pâtisseries pour lui redonner le sourire, le mari de la vieille femme, Charles, majordome de la famille, et Eleanor.

Les journées étaient longues, mais fort heureusement il avait trouvé de quoi se distraire. Un jour, alors qu'il scrollait sur internet, il était tombé par hasard, ou pas, sur le profil de Julia Swenson sur les réseaux sociaux. Il s'était aussitôt mit à stalker ses comptes, cherchant inlassablement à comprendre ce qui trainait dans la tête de la jeune fille. Son profil comportait des milliers de photos et vidéos d'elle, de ses amis et de sa famille. Sur ces dernières, on y retrouvait une fille à l'inverse de celle qu'il avait eu l'occasion d'approcher. Elle était souriante, pleine d'humour et lumineuse. Bien loin de la jeune fille pénible, lunatique, à l'humeur sombre. Même sa manière de danser n'était plus la même et avait changée. Ses émotions lorsqu'elle se laissait aller sur les planches étaient à l'exact opposé de celles d'aujourd'hui.

Il avait parcouru jours et nuit son profil. Mais, même ce petit échantillon de son passé, ne lui permettait pas d'obtenir de réels résultats. La seule certitude qu' il détenait, c'était celle qu'elle était malheureuse comme les pierres.

Cette intrusion secrète dans son intimité lui avait néanmoins donné la possibilité d'établir une chronologie. Selon lui, un événement terrible s'était sans doute produit entre le 12 février 2020, date de la dernière photographie postée sur laquelle elle souriait encore, et le 8 avril 2021, moment à partir duquel plus l'ombre d'un sourire n'apparût sur son visage.

Le quaterback avait cherché pendant des heures entières la raison pour laquelle cette accro aux réseaux sociaux était soudain devenue silencieuse durant plus d'un an. Il doutait de la véracité de cette affreuse rumeur sur elle, mais cette énigmatique et subite absence ne faisait qu'accroitre le mystère qui l'entourait. Les textes qui accompagnaient désormais les photos d'elle titillaient, eux aussi, la curiosité du brun. Ils étaient empreints de noirceurs et reflétaient à merveille le chagrin de la lycéenne.

Le poème d'Albert Dabadie avait par ailleurs percuté de plein fouet le jeune homme, le forçant à admettre que la conception que se faisait Julia de la vie était bouleversante. Il avait lu et relu ce même poème, tant de fois, qu'il s'était mis à le réciter dans un murmure, comme s'il s'agissait d'un mantra dont il tentait d'en déchiffrer la signification.

"Du ciel le plus limpide et le plus radieux,
Un nuage parfois assombrit l'atmosphère ;
Ainsi quelque pensée inquiète ou sévère,
Voile parfois d'ennuis les fronts les plus joyeux.

Souvent ceux que le plus on envie ou révère,
Ceux-là dont le bonheur luit le plus et le mieux,
S'en vont portant au cœur, sur un brillant calvaire,
Leur couronne d'épine, invisible à nos yeux.

De la peine d'autrui nul ne sait la mesure,
Nul n'en approfondit la plaie et la torture,
Et n'en sait calculer l'amertume et le poids :

No Rules, Just PlayOù les histoires vivent. Découvrez maintenant