Chapitre 19

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Cela fait déjà une quinzaine de minutes que le bateau ne bouge plus. Au début, nous pensions être arrivées, mais nous n'en sommes plus si sûres. Tess commence à tourner en rond, et sa sœur la rappelle à l'ordre.
— Arrête de faire les cent pas ! Imagine que le bateau se soit arrêté parce que la police fait un contrôle ! chuchote-t-elle, visiblement énervée.
Tess s'arrête, pensive.
— Tu as raison, tu as raison, murmure-t-elle.
Des bruits de pas se dirigent tout à coup vers nous. Nous nous regardons les unes les autres, terrifiées.
— Hé, vous entendez ça ? je murmure.
Tess et Victoria hochent la tête. Je ne suis donc pas folle, quelqu'un s'approche de notre conteneur. J'espère seulement que ça n'est pas la police. J'éteins ma lampe de poche, et les deux sœurs font de même.
Un cliquètement retentit tout près de nous. Je pense instantanément au cadenas qui ferme le conteneur. Je ne bouge pas d'un millimètre : si c'est la police qui vient à nous, rien ne sert de se cacher car il n'y a aucune cachette là où nous nous trouvons. La porte s'ouvre et la lumière du soleil m'aveugle, m'empêchant de connaître l'identité de celle qui a ouvert la porte.
Après quelques secondes, j'y vois mieux. Naomi se tient devant nous.
— On est arrivées, annonce-t-elle.
Tess saute littéralement de joie. J'ai presque envie de faire de même, mais je me retiens. Je laisse les deux sœurs passer devant moi, et je les suis en dehors du conteneur. Je ne suis pas encore sortie que j'entends Tess rire.
— Waouh, tu parles d'une île ! s'exclame Tess.
Je me demande ce qu'elle entend par là. Victoria sort à son tour, et je la vois hocher la tête comme pour montrer son accord. Je suis la dernière à sortir, et quand je passe la porte du conteneur, je ne peux qu'être en accord avec Tess. Ce n'est pas du tout ce à quoi je m'attendais.
Nous sommes dans un port, et je peux voir de grands immeubles au loin. Je m'attendais à une sorte de camp, qui subsisterait grâce à l'entraide des habitants ou quelque chose du genre, mais je n'y crois plus une seule seconde. On se croirait dans une grande ville comme Denver, peut-être même plus grande. À cet instant, je ne regrette pas une seule seconde de m'être enfuie. C'est magnifique.
— C'est ici que nos chemins se séparent, dit Naomi. Profitez bien de votre nouveau départ !
Nous la remercions et descendons du bateau. J'ai l'impression que quelqu'un nous attend en bas mais je n'en suis pas sûre, Tess et Victoria me cachant la vue. En arrivant sur terre, je constate que j'avais raison : un sexe opposé nous attend.
— Bonjour, mesdemoiselles ! Je m'appelle Theo, bienvenue sur l'île !
Il a l'air d'avoir environ vingt-cinq ans, mais je pourrais me tromper. Je me demande s'il est sur l'île depuis longtemps. Tess et Victoria n'osent pas dire un mot. Elles sont probablement gênées de voir un sexe opposé. Je me lance donc pour nous éviter l'embarras.
— Bonjour, je suis Anna, et voici Tess, et Victoria.
— Vous avez fait bon voyage, ce n'était pas trop long ? demande-t-il.
— Un peu, si. Mais ça valait le coup !
— Maintenant, vous allez pouvoir profiter de votre nouvelle vie, dit Theo joyeusement. Suivez-moi s'il vous plaît.
Theo nous entraîne vers un arrêt de tramway juste à côté du port.
— Nous allons aller dans le centre de la ville, dit-il. Là-bas, des logements sont mis à disposition pour les nouveaux arrivants tels que vous. Vous aurez deux semaines pour vous reposer un peu et trouver un travail. Les deux semaines écoulées, vous ne pourrez plus résider dans le logement qu'on vous aura prêté. Ici, vous aurez votre salaire toutes les semaines, ce qui est plutôt pratique je dois dire. Une fois votre salaire en poche, vous pourrez vous rendre dans une agence immobilière afin de louer un appartement.
Un tramway apparaît juste au moment où il termine sa phrase. Theo nous fait signe de monter et passe sa carte de tramway quatre fois dans l'appareil prévu à cet effet. Il ne dit rien du trajet, nous laissant nous extasier devant la beauté de la ville. Celle-ci n'a rien à envier à Denver.
— Depuis combien de temps cet endroit existe ? je demande.
— Cela fait plus de cinquante ans que des gens viennent se réfugier ici, si c'est ce que tu veux dire.
Nous descendons du tramway une quinzaine de minutes après être montés, et suivons Theo à travers la ville. Celui-ci s'arrête devant un immeuble, et sort une carte magnétique de sa poche. Il la fait passer devant un boîtier à côté de la porte principale, et nous fait signe d'entrer.
— Après vous, dit-il tout sourire.
J'entre en premier, et je regarde autour de moi. Cet immeuble ressemble à n'importe quel autre immeuble que j'ai vu dans ma vie. À mon étonnement, je suis heureuse de retrouver quelque chose de similaire au pays où je vivais. Theo entre et se dirige vers un panneau sur le mur. Il inspecte une fiche accrochée au panneau.
— Retenez bien ce que je vais vous dire : Victoria, tu auras la chambre 614, Tess la chambre 623, et Anna tu iras dans la chambre 648.
Nous suivons Theo jusque dans l'ascenseur. Il appuie sur le bouton numéro six. Je sens l'ascenseur monter. Un tintement indique que nous sommes arrivés. L'ascenseur s'ouvre, et je lis une petite pancarte collée au mur : « Étage n°6 ». Je fais le lien entre notre numéro de chambre et le numéro de l'étage. Ils sont malins. Nous avançons jusqu'à la chambre numéro 614. Celle de Victoria, si je me souviens bien.
— Je ne vais vous montrer qu'une chambre : pas la peine de vous montrer les autres car ce sont toutes les mêmes. Voici vos cartes magnétiques. Elles ouvrent vos chambres respectives, ainsi que la porte d'entrée de l'immeuble.
Theo nous tend à chacune une carte comportant notre numéro de chambre. Puis, il passe la carte magnétique de Victoria devant le boîtier de sa chambre. Une petite diode passe du rouge au vert. Theo ouvre la porte, et nous invite à entrer dans la chambre de Victoria.
— La pièce fait environ trente mètres carrés, dit Theo. Elle est divisée en deux parties : une partie chambre à coucher, et une autre qui sert de cuisine. Dans la cuisine, vous avez un frigo déjà rempli, et une plaque de cuisson électrique pour cuisiner.
Il nous emmène ensuite jusqu'à la chambre, où se trouvent un lit une place et une armoire. Une table de nuit est placée à côté du lit, avec une lampe de chevet posée dessus.
— Voilà, nous avons fait le tour, dit-il en commençant à sortir de la chambre.
Nous le suivons toutes les trois.
— La salle de bain et les toilettes se trouvent au deuxième étage. Au troisième, il y a une salle commune, où vous pourrez rencontrer d'autres personnes comme vous. Les autres étages sont composés de chambres comme les vôtres. Vous avez des questions ?
— Pas vraiment, je réponds. Merci pour les explications !
— Et vous les filles ? demande Theo en regardant les deux sœurs.
Elles paraissent gênées, mais Victoria semble avoir le plus de courage car c'est elle qui répond.
— Pas de questions, non, dit-elle.
— D'accord. Dans ce cas, je reviendrai demain matin à dix heures pour vous montrer un peu la ville. Reposez-vous bien !
Il reprend l'ascenseur et disparaît. Je me tourne vers Tess et Victoria.
— Je vais aller dans ma chambre poser mes affaires, puis prendre une douche, je déclare. On se rejoint d'ici une demi-heure dans la salle commune ?
— On fait ça ! s'exclame Tess avant de foncer jusqu'à sa chambre. Elle l'ouvre promptement, et disparaît elle aussi.
— À tout à l'heure ? je demande à Victoria.
Elle hoche la tête, et rentre dans sa chambre. Je marche dans le couloir en direction de la mienne. Je cherche le numéro 648, et le trouve en fin de couloir. Je passe ma carte magnétique à l'endroit prévu, et j'ouvre ainsi la porte de ma chambre. Celle-ci est identique à celle de Victoria. Je dépose mon sac à dos sur le lit et je m'assois une seconde, soulagée d'être enfin à destination. Quand je pense que ma mère est toujours à la maison, loin d'ici... Je m'autorise à verser une petite larme alors que je repense au fait qu'elle me croit probablement morte. J'aimerais trouver un moyen de lui dire que je vais bien sans pour autant la mettre en danger. Peut-être que quand je retournerai sauver Liam, je pourrais essayer de la convaincre de venir ici avec moi. Je ne me fais pas trop d'illusions, mais peut-être accepterait-elle. Après tout, ce n'est pas une petite île de rien du tout, et la vie n'a pas l'air si différente de celle que nous vivons à la maison. Je me promets d'au moins essayer de trouver une solution afin de dire à ma mère que je suis en vie.
Après quelques minutes, je décide qu'il est temps que j'aille me doucher. Je pense à emmener ma carte magnétique avec moi, et des vêtements propres. Une fois dans l'ascenseur, j'appuie sur le bouton numéro deux. J'arrive au deuxième étage : on dirait juste une grande pièce. D'un côté, il y a des lavabos, avec un grand miroir tout le long du mur. De l'autre côté, il y a des cabines les unes à côté des autres. En y jetant un œil de plus près, je remarque que la moitié des cabines à gauche sont des douches, et que l'autre moitié – celles de droite – sont des toilettes. Plusieurs cabines sont déjà occupées. J'en cherche une avec un petit voyant vert, que je trouve sans trop de mal, et je rentre dedans en prenant soin de fermer la porte derrière moi.
Un placard, une étagère ainsi qu'un miroir sont placés devant la douche. Sur le placard est écrit « Prenez une serviette, et ramenez-là dans votre chambre pour la faire sécher. Réutilisez-là, jusqu'à ce que vous ayez besoin de la laver. Quand ce sera le cas, la laverie est à votre disposition. ». Bon à savoir, je me dis. J'ouvre le placard en question, et j'en sors deux serviettes toutes propres : une pour me sécher le corps et une pour mes cheveux. Puis j'ouvre le robinet de la douche, attendant quelques dizaines de secondes avant que l'eau soit chaude. Je passe ma main sous l'eau afin de vérifier la température de celle-ci. Quand je la trouve à mon goût, je me déshabille vite fait et j'entre dans la douche. Je ne me rappelle pas la dernière fois que je me suis lavée. C'était il y a quelques jours, peut-être même une semaine. Je réalise que je ne sais même pas quel jour on est. Il faudra que je pense à le demander à Theo quand il reviendra demain.
Une fois ma douche faite, je m'enveloppe dans ma serviette, et je me sèche. Puis, j'enfile des vêtements propres. Je réalise que je n'ai pas de quoi brosser mes cheveux. Je hausse les épaules machinalement en me disant que je ne peux rien y faire pour l'instant. Je verrai ça demain. Je retourne dans ma chambre afin d'étendre ma serviette. Par curiosité, j'ouvre l'armoire de ma chambre. J'y trouve avec stupeur un sac transparent avec quelques affaires neuves à l'intérieur : une brosse à cheveux, une brosse à dents et du dentifrice. Un deuxième sac transparent contient deux paires de sous-vêtements propres, un pyjama ainsi qu'une tenue à porter la journée. J'enfile le pyjama, et je décide de retourner dans la salle de bain afin de terminer ma toilette.
Une fois totalement propre, je retourne dans l'ascenseur et presse le numéro trois. J'arrive dans une salle commune remplie de fauteuils et de canapés. Au fond de la salle, j'aperçois une petite bibliothèque remplie de livres. Je me demande si je pourrais en emprunter un, un de ces quatre.
Je cherche Tess et Victoria du regard, mais ne les voyant pas, ma curiosité m'entraîne vers la bibliothèque. Je suis en train de lire le résumé d'un livre quand je sens un tapotement sur mon épaule droite. Je me retourne et tombe nez à nez avec Victoria.
— Tess prépare quelque chose à manger. Ça te dit de repousser notre visite de la salle commune à plus tard, et de venir manger avec nous ?
Je souris. C'est très gentil de leur part de me le proposer.
— Bien sûr, je réponds le sourire aux lèvres.
Je suis Victoria jusqu'à l'ascenseur, et nous retournons à l'étage numéro six. Nous parcourons le couloir à la recherche de la chambre 623. Quand nous l'avons trouvée, Victoria frappe trois coups à la porte. Tess nous ouvre, et une odeur merveilleuse se disperse dans le couloir.
— Qu'est-ce que tu cuisines ? je lui demande.
— Tu verras, réplique-t-elle malicieusement.
Je tire une chaise près de la table de la cuisine et m'assois à côté de Victoria.
— En tout cas, ça sent bon ! je m'exclame. Je n'ai pas mangé de vrai repas depuis au moins une semaine.
— Vraiment ? me demande Victoria.
Je hoche la tête. Tess apporte la poêle au milieu de la table. Je me lève pour mettre la table, en jetant un coup d'œil à ce que Tess a cuisiné.
— Des fajitas ? je devine.
— Tu aimes ça ? me demande Tess.
Je mime un air affamé en hochant la tête. Les deux sœurs rient avec moi. Nous nous servons chacune notre tour, avant que le plat ne soit froid. Puis nous mangeons dans le silence, profitant d'un vrai repas.
— Dis Anna, le sexe opposé que tu avais vu, il ressemblait à Theo ? demande Tess.
— D'une certaine manière oui, mais dans l'ensemble pas du tout !
Je souris devant l'excitation de Tess. D'un côté je comprends : elle n'avait jamais vu de sexe opposé auparavant.
— Tu sais qu'ici on les appelle des hommes ? se moque Victoria.
— Hé, laisse-moi le temps de m'y habituer ! réplique sa sœur.
Après avoir mangé, je me propose de faire la vaisselle. Je me dis que c'est la moindre des choses, puisque Tess a cuisiné.
— Demain, on pourrait peut-être aller manger un petit truc dehors ? je propose.
— Bonne idée ! répondent les deux sœurs en même temps.
— Mais on a aucune idée de ce qu'il y a ici, ajoute Tess.
Je réfléchis à ce qu'elle dit, et je me dis que nous n'avons pas besoin de savoir ce qu'il y a en ville.
— Je sais, mais on aura un aperçu de la ville demain, puisque Theo nous emmène en faire le tour. J'imagine qu'on devrait bien voir un restaurant ou deux.
— Ça me va. Et toi Victoria, tu en penses quoi ? Ça te dirait de manger dehors toutes les trois ?
Victoria fait mine de réfléchir, puis un sourire éclaire son visage.
— C'est parfait. Je me suis toujours demandé à quoi ressemble une ville avec autant de gens comme nous que de sexes opposés, j'aurai enfin la réponse !
— D'hommes, tu veux dire ! s'écrie Tess d'un air narquois.
Son sourire s'évapore aussi vite qu'il est arrivé.
— Dites, vous pensez vraiment qu'on sera plus heureuses ici ? nous demande-t-elle.
— Oui, répond sa sœur.
— Je n'ai aucun doute là-dessus. Je vais devoir partir bientôt, mais je suis certaine de revenir car c'est ici que je veux passer ma vie, j'ajoute.
Tess et Victoria me fixent, estomaquées.
— Tu ne restes pas ici ? me demande Tess.
— Tu te souviens quand je t'ai dit qu'on m'avait aidée à m'échapper du Centre Opératoire ?
Tess hoche la tête, me priant de continuer.
— C'était le sexe opposé. Il s'appelle Liam. Il s'est fait prendre juste avant que nous arrivions dehors. Il faut que je retourne le chercher. Mais je ferai tout mon possible pour revenir.
— Tu crois qu'il est encore vivant ? me demande Victoria d'une petite voix.
— Je l'espère. Ils l'ont probablement emmené au FBI, et si je suis assez rapide, je pourrai peut-être le sortir de là. Il faut que j'essaie, je lui dois bien ça.
Victoria acquiesce, et sa sœur fronce les sourcils.
— Mais pourquoi es-tu venue ici si c'est pour repartir aussitôt ?
— Je suis venue chercher de l'aide. Une de mes amies est venue ici il y a quelques mois. J'espérais la retrouver et lui demander de m'aider à secourir Liam.
Tess me pose encore quelques questions avant que nous changions de sujet. Vers vingt-trois heures, j'annonce qu'il est temps pour moi d'aller dormir. Les deux sœurs semblent être d'accord. Victoria sort de la chambre de Tess en même temps que moi. Je lui souhaite de passer une bonne nuit, et je m'éloigne en direction de ma chambre.

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