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Chapitre VI : L'enregistrement
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Hange avait raison. Il aurait dû écouter cette foutu cassette, la suivante, pour savoir ce qu'il s'était passé. Mais non, il ne voulait pas. C'était bête, d'avoir peur, de se mettre dans cet état pour quelqu'un qui n'existait pas. Enfin, Erwin n'était pas un personnage imaginaire, certes, mais quand même. Il avait vécu des années auparavant. S'inquiéter pour lui n'était plus utile désormais. Mais toute logique semblait avoir disparue du cerveau de l'adolescent. Erwin hantait ses moindres pensées. Pourtant Livaï n'écouta pas la vidéo. Il se contenta de rester allongé sur son lit à fixer le plafond dans l'obscurité. Mais il n'arrivait pas à dormir. Il en était incapable. Et si au départ, il était résolu à ne pas écouter la cassette, vers quatre heures du matin alors qu'il ne cessait de cogiter et que son pouls se faisait bien trop rapide, il décida de franchir le pas.
A tâtons dans le noir, la main tremblante, Livaï avait cherché sur le parquet près de son matelas, là où il laissait son walkman chaque soir. Assis sur le lit, il le prit en main une fois trouvé et enfila son casque, jetant un regard par la fenêtre. Les rideaux, légèrement ouverts, laissaient paraitre les rayons de la lune éclairant légèrement l'engin. Il ne devait pas avoir peur. Peut-être qu'il se faisait des idées, que la prochaine cassette d'Erwin parlerait d'un sujet banal, d'une simple journée de cours.
Prenant une légère inspiration, il appuya sur le bouton et lança l'enregistrement.
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Le cœur serré, le grand blond entra doucement dans la cuisine, faisant craquer le plancher. Dehors, les lampadaires étaient encore allumés, mais il était bientôt vingt-et-une heures et dès que le couvre-feu commencerait, plus aucune lumière n'éclairerait la rue. Son père était dos à lui, en train de faire la vaisselle. Mais il avait senti sa présence, Erwin le savait. En silence, il alluma l'enregistreur, le dissimulant derrière un vase. Enregistrer son père sans son accord, était-ce une bonne chose ? Il ne voulait qu'aucune bride de cette conversation ne lui échappe.
« Papa... »
Le silence lui répondit. Erwin comprit que son père lui donnait le droit à la parole.
« Y'a quelques jours, je t'ai entendu parler avec un... un type, je sais pas trop qui c'était... et j'ai cru comprendre que... que tu voulais partir... Partir en RFA... » murmura doucement l'adolescent, sa main appuyée sur la table en bois de la cuisine sans quitter son père des yeux.
Le silence se fit dans la pièce, mais le père du blond, le dos droit, continua à faire la vaisselle sans un mot. Mais Erwin savait que son père l'avait entendu et qu'il lui répondrait. Ce n'était qu'une question de seconde, et ce qu'il allait dire était important. Ça se sentait.
« Oui. Fais comme si tu ne savais rien et que tu n'avais rien entendu. Nous partirons dans une semaine. »
Une semaine ? Partir ? Franchir le mur ? Comment son père pouvait il lui dire ça comme ça ? Se rendait-il compte de la situation ? Non, surement pas. Déglutissant difficilement, le grand blond secoua la tête vivement, cherchant ses mots.
« Papa, je... je pense que tu ne réalises pas ce que ça veut dire... ! Une semaine, je n'aurais jamais le temps de me préparer, et personne n'arrive à franchir le mur... ! »
Franchir le grand mur de béton, les grilles électriques, ne pas déclencher les alarmes, franchir le no man's land, passer le fossé et pourvoir franchir l'autre mur. Ça relevait du suicide, pourquoi prendre ce risque ? Pourquoi l'emmener lui, son fils ? La vie n'était pas belle ici, Erwin ne voulait pas vivre dans une dictature mais il ne voulait pas non plus mourir. Mais son père, sourcils froncés, c'était tourné vers lui.
« Te préparer ? A quoi au juste ? N'espère pas emmener quoi que ce soit, on ne pourra rien emporter. Et je sais ce que veut dire traverser le mur, je sais ce qu'on risque, j'y ai beaucoup réfléchis et ma décision est prise. Je refuse de vivre ici plus longtemps, ce n'est bon ni pour toi ni pour moi.
-Et j'ai pas mon mot à dire... ?!
-C'est moi qui commande ici, alors baisse d'un ton et contente toi d'être discret. » rétorqua le grand châtain en jetant un regard sévère à son fils.
Erwin pouvait voir dans le regard de l'adulte aux lunettes qu'il regrettait de lui avoir parlé de tout ça. Sans doute avait-il peur qu'il vende la mèche. Et c'était compréhensible, et même si Erwin avait peur, terriblement peur, il ne dirait rien. Parler de cette envie de fuite signifiait trahir son père, il irait en prison ou dieu sait où, et lui en foyer d'accueil. Il ne le voulait pas, il aurait préféré mourir.
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« J'y crois pas, j'y crois pas... » murmurait la voix paniquée de Erwin alors que le son du walkman grésillait.
A travers l'agitation et les mouvements que faisait Erwin, Livaï compris qu'il était retourné dans sa chambre après avoir repris le walkman qui avait enregistré secrètement la conversation que Erwin venait d'avoir avec son père à l'insu de ce dernier. Erwin semblait dans tous ses états, et Livaï, assis sur son lit, la respiration coupée, n'était pas dans un meilleur état.
« Mes grands-parents sont ici, mes amis, mes affaires... toute ma vie est ici... ! » s'exclama la voix d'Erwin qui semblait essoufflée, sans doute à cause de toutes ses émotions.
Livaï ressentait une vraie tempête en lui. Une tempête de peur, de panique. Il pouvait sentir son cœur battre dans ses tempes. Si lui était dans cet état, il ne pouvait même pas imaginer ce que ressentait Erwin. Pendant plusieurs minutes, le walkman ne laissa plus entendre la voix d'Erwin, juste quelques sons étouffés qui laissaient paraitre du mouvement dans la pièce où se trouvait le blond. Après quelques instants, la voix du jeune homme, un peu plus calme, se fit de nouveau entendre :
« Je... Je peux pas m'y opposer, je peux pas laisser mon père partir seul, je peux pas le dénoncer... Alors je pense que je vais juste... me préparer psychologiquement. » souffla doucement sa voix désabusée.
L'enregistrement se termina ainsi, sur cette voix morne et fatiguée. Livaï resta plusieurs secondes à écouter le silence. Il pensait pouvoir trouver le sommeil après avoir écouté cette vidéo qui avait été source de tant d'inquiétude, mais non. Il se sentait encore plus mal. Le ventre noué et la bouche sèche, il reposa le walkman sur le parquet de sa main tremblante. Qu'avait-il bien pu arriver à Erwin après ça ? Il ne savait pas trop et désormais il ne voulait plus rien savoir du tout. Jamais il n'aurait dû écouter ces foutus cassettes, jamais il n'aurait dû trouver ce putain de walkman.
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Son Histoire
FanfictionEntre le décès de sa mère et sa nouvelle vie avec Kenny à Großharthau, Livaï a du mal à s'en sortir. Loin de tout ce qu'il a toujours connu, son quotidien va néanmoins changer avec la découverte de plusieurs cassettes audios d'un adolescent vivant e...