Son Histoire

Ne rien regretter

Chapitre IX : Ne rien regretter.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Triturant ses doigts, dans la cour de récréation, la brune observait son ami, assis près d'elle en tailleur. Livaï fixait le walkman dans un silence pesant. Plusieurs jours déjà qu'il avait décrété qu'il ne voudrait plus jamais entendre la suite des enregistrements de Erwin, et pourtant cela faisait également plusieurs jours que la dernière cassette était à sa place dans l'appareil rose pâle qu'il avait récupéré sous le parquet de sa chambre. Hange voyait bien que tout ça le rongeait. Ne pas savoir le rongeait. Et il était encore plus déconcentré que d'habitude.

« Allez, Livaï, écoute cette cassette. J'vois bien que t'en as envie.

-Mnn. »

L'adolescent ne semblait pas convaincu. Ça faisait pourtant déjà quinze bonnes minutes qu'ils regardaient tous les deux la machine sans un mot. Il ne voulait pas écouter cette foutue cassette. Mais il en avait besoin, et il savait que Hange avait raison : ça l'obsédait d'écouter cette dernière cassette. Avec un soupir, il enfila son casque sans un mot sous le léger sourire de son amie. Il avait attendu trop longtemps, il devait savoir : elle avait raison. Tentant de se persuader que cela ne devait rien changer à sa vie ou à son quotidien, le petit noiraud avait enfoncé le bouton Play en prenant une légère inspiration.

« Bon... C'est décidé, avec mon père, on part demain soir... »

Entendre la voix douce et à la fois grave de Erwin dire ça sur un ton tremblant et hésitant n'était décidément pas aussi facile que ce que le noiraud aurait voulu. Ça sonnait comme une annonce de décès à ses oreilles, car à ses yeux, il était impossible que Erwin s'en sorte.

« Cette cassette, ce sera ma dernière... On peut rien emmener de l'autre côté... alors je... je vais juste donner mon walkman à Nile... Il ne doit pas l'écouter avant plusieurs jours, histoire que je sois sûr qu'on soit bien de l'autre côté. Ensuite il en fera ce qu'il veut... » expliqua Erwin, la voix tremblante.

L'adolescent pensait-il pouvoir passer à la prospérité avec cette cassette ? Ou voulait-il juste que son histoire soit racontée, laisser un témoignage de cette époque sombre de l'Allemagne ? Le noiraud n'en savait rien. Le journal de bord de Erwin, ce walkman, ces cassettes, au fond en quoi avaient-elles été utile ? Il avait été le seul à les écouter. Elles n'avaient fait que raconter le quotidien plat et normal d'un adolescent, ses joies, ses peines, ses activités. Oui, tout ce que Erwin avait fait n'avait servi strictement à rien. C'est ce que Livaï voulait se persuader, pensant sans doute que cela le ferait moins souffrir. Mais non, ça ne rendait pas sa peine moins douloureuse, et il se mentait à lui-même, car si, les cassettes du blond avaient été utile au moins pour une personne : lui. Se sentir moins seul, se sentir compris, c'est la sensation que Erwin lui avait donné sans même le voir ou le rencontrer.

« Je ne vais rien faire contre notre départ... Sinon, je le regretterai et mes décisions en seront influencées... alors... Comme j'ai peur et que je ne sais pas quoi faire, je vais juste... laisser les autres agir pour moi. Et si jamais ça se passe mal, tant pis... ! Après tout, on est tous condamnés à mourir, et personne ne peut prévoir sa destinée... Peut-être qu'au final, tout se passera bien... Mon père ne me mettrait pas en danger s'il ne pensait pas qu'on a au moins une chance de s'en sortir et de passer en RFA ! » expliqua maladroitement Erwin, comme pour tenter de se rassurer lui-même.

Après encore quelques bruits de fond étouffés indiquant du mouvement, la cassette se coupa. La dernière cassette. Désormais il n'y avait plus rien, que des grésillements. Livaï, ailleurs, fixait en silence le sol en béton de la cour de récréation. C'était fini. Désormais, il n'avait plus aucune cassette à écouter et Erwin était surement mort.

« Alors... ? » demanda doucement Hange, observant le jeune homme silencieux.

.

« Je te dis qu'on peut y arriver !

-Rah, arrête je te dis ! Ça doit faire vingt ans, voire bien plus... ! On trouvera rien sur lui ! » chuchota le noiraud d'un air irrité en suivant Hange dans les couloirs de la bibliothèque.

La brune s'était mis en tête de retrouver ce fameux Erwin, ou du moins de savoir ce qui avait bien pu lui arriver après avoir tenté de traverser le mur de Berlin. Était-il vivant ? Mort ? Elle agissait par pur curiosité, mais pas que : Livaï ne le montrait pas, mais depuis qu'il avait écouté la dernière cassette une semaine plus tôt, il était inquiet. Lui aussi voulait savoir ce qui était arrivé à l'adolescent de la RDA, mais il ne pensait pas en avoir les moyens.

« Mais si ! Il existe des moteurs de recherche généralisée pour ça ! » rétorqua la brune en allant se laisser tomber devant un ordinateur dans la bibliothèque de leur lycée.

Soufflant d'un air irrité, le noiraud alla s'assoir près d'elle. De toute façon, quand Hange avait une idée en tête, impossible de la lui retirer. C'était ce qui faisait son charme, mais ça pouvait sincèrement être très énervant. Mais Hange n'écoutait déjà plus les paroles de son amie, et concentrée sur son ordinateur, elle tapa dans un moteur de recherche généralisée :

« Erwin Smith... né en 1964... Großharthau... » murmura-t-elle pour elle-même.

« Tu perds ton temps. Des Smith, il doit y en avoir une centaine.

-Peut-être en RFA, mais pas en RDA. » rétorqua-t-elle en entendant son ami insister pour abandonner cette recherche.

Si Livaï insistait, Hange le savait : c'était sans doute car il avait peur d'en découvrir plus, mais il devait faire face à la réalité, surtout si ne pas savoir l'obsédait. Mais Livaï avait raison : des Smith, il y en avait des tonnes. Et il fallut un moment avant de trouver celui qui semblait être leur homme. Enfin, rien ne pouvait l'affirmer, à part une chose : entrer en contact avec ce dernier.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

.