Mes écouteurs étaient là, dans ma poche, et pourtant je devais me retenir de les sortir. Ce soir, je n'avais pas le droit d'être dans ma bulle. Mes parents ont réussi à me faire promettre de passer la soirée avec eux, de parler et de sourire comme une gentille fille parfaite. Bon, sourire ça va, je me débrouille plutôt bien. Mais parler c'est autre chose. Je suis comme qui dirait du genre introvertie. Très introvertie. Pour faire simple, la première de la classe sans amis qui passe son temps à bosser, les écouteurs dans les oreilles, des énormes lunettes rondes sur le nez et une frange bien droite, c'est moi. Pour bien enfoncer la chose, j'ai deux frères et une sœur qui s'entendent à merveilles... mais pas avec moi. Solitaire jusqu'à la moelle.
Ces vacances familiales en Italie sont donc pour moi plus une punition qu'une récompense. J'aurais largement préféré explorer les belles villes italiennes toute seule avec un bon fond musical (du style Shawn Mendes ou Harry Styles). Le programme de ce soir consistait en un petit repas bien copieux dans un restaurant puis à une balade en ville sous les étoiles. Oui parce que, malgré tous ces points négatifs, je note tout de même que le ciel est dégagé et que je peux profiter d'une magnifique vue sur la Lune et les étoiles.
Mes frères et ma sœur marchent tout devant, partageant anecdotes sur anecdotes tout en riant bruyamment. (D'où ma pressante envie de mettre mes écouteurs.) Derrière eux, mes parents, main dans la main, discutant de leurs années de jeunes mariés. Et puis il y a moi, quelques mètres plus loin, traînant des pieds et priant pour que cette balade s'achève au plus vite. J'avoue avoir envie d'aller aux toilettes depuis quelques minutes déjà.
Lorsque notre troupe s'arrête à un stand de glaces et que mon regard se pose sur des toilettes publiques, je remercie sincèrement le ciel de m'offrir au moins ça.
-Hum... Maman ? Je vais aux toilettes juste là.
-Quel parfum de glace veux-tu ? me répond-elle comme si elle n'avait pas écouté.
-Rien, je n'ai pas faim, merci.
Elle reporte vite son attention sur ses trois autres enfants qui énumèrent leur commande. Je lève les yeux au ciel et pars en direction des toilettes. Je prends mon temps, profitant de mon moment de solitude avant de retrouver les discussions bruyantes de ma famille. Une fois finie, je sors de la cabine pour découvrir qu'ils sont tous partis. Sans moi. Comment dire ? Je sais que je passe un peu pour un fantôme, mais quand même ! Sur cinq y en avait pas un pour se souvenir de moi ?
Dans un sens, je devrais me sentir bénie d'être enfin seule et débarrassée de cette stupide soirée en famille. Cependant, ça fait toujours mal de voir que tes propres parents peuvent t'oublier en balade. Si ce n'était que ça, je pourrais me remettre d'un petit pincement au cœur. Mais évidemment, il faut préciser que je ne parle pas un mot d'italien et que je suis complètement perdue. Ajoutez à cela qu'il est 23h passé et que je suis une fille seule dans la rue. Une rue pas bondée d'ailleurs. Merveilleux. Je crois qu'il n'y a pas meilleur moyen de se faire tuer (si ce n'est violer).
Je sors mon téléphone et ouvre Google Maps. Je cherche autour de ma position ce qui pourrait être le parking où se trouve la voiture mais étant donné le nombre de parkings inscris sur la carte, c'est peine perdue. Je rentre alors le nom de l'hôtel pour découvrir qu'il se trouve à 54 minutes à pied de là où je suis. Fan-tas-tique. Ce n'est décidément pas ma soirée.
Je branche mes écouteurs et lance la musique tout en marchant dans la direction que m'indique le GPS. Au bout de quelques minutes, je me fais percuter par quelqu'un venant de derrière moi. La personne me rattrape de justesse tandis que je sauvais mes lunettes d'une terrible chute. Au passage, l'un de mes écouteurs s'est enlevé.
-Oh ! Excusez-moi. Vous allez bien ?
Mon regard croise celui d'une jeune fille de mon âge, légèrement plus petite que moi avec des cheveux coupés au carré et un peu ondulés. Je me contente de hocher la tête et de remettre mes vêtements correctement. Introversion bonjour ! Et c'est là que la réalité me frappe.
-Tu parles anglais ?!
Des rires attirent mon attention sur ma droite et je comprends que la jeune fille est accompagnée de deux garçons. L'un est grand, blond et ressemble pas mal à une asperge. Le deuxième a une taille plus raisonnable, des cheveux bruns en bataille et porte un cardigan. Je me retiens de rire. C'est le genre de trucs que je porte moi-même. Disons que j'ai un style un peu décalé et que mes camarades de classe aiment me rappeler que l'armoire de ma grand-mère n'est plus trop au goût du jour.
-Oui, on est en vacances ici mais on vient d'Angleterre, à Crawley précisément, m'explique la fille. Et toi ?
-St Leonards.
Elle lève un sourcil, s'attendant certainement à ce que je développe mais finit par comprendre que je ne dirais rien de plus.
-Hum... ok. T'es toute seule ?
Elle regarde autour de nous pour appuyer sa question et j'en profite pour réfléchir à ma réponse. Je ne suis pas sûre de vouloir leur dire que ma famille m'a oublié alors on va dire que je suis juste perdue. Ce n'est pas totalement faux mais ce n'est pas totalement vrai non plus. Tant pis, ils feront avec.
-J'ai perdu mes parents dans la foule. Je m'apprêtais à rentrer à l'hôtel à pied.
-Il est loin ?
-A trois quarts d'heure de marche.
-On te dépose si tu veux.
J'ai très envie de crier oui mais étant moi, je me dis que je ne veux pas les déranger et puis je ne les connais pas. A savoir que monter dans la voiture de trois étrangers n'est pas recommandé.
-Non merci, j'aime bien marcher.
-Tu mens très mal tu sais ?
Je me tourne vers le brun qui vient de parler. Je dis quoi maintenant moi ?
-Je ne mens pas, c'est vrai, me défendis-je en fronçant les sourcils.
-Tu recommences.
Doux Jésus il va me rendre folle en plus de mal à l'aise. Pourquoi force-t-il ainsi ?
-Je te promets qu'on est gentils et qu'on ne mord pas. Tu devrais accepter notre aide.
Son regard assuré me perturbe un peu. Je jette un coup d'œil à la fille qui sourit avec tendresse. Elle, elle a l'air gentille. Pas toi mon gars. Peut-être que je devrais accepter quand même finalement.
-D'accord, je veux bien que vous me déposiez à l'hôtel.
Le trajet en voiture n'a pas été long. Fidèle à moi-même, je n'ai pas dit un mot. Enfin, excepté quand on m'a demandé mon prénom et que j'ai eu la politesse de demander le leur en retour. Pour faire court, le brun au volant qui me fiche la trouille s'appelle Gimon, l'asperge souriante se nomme Greg et la fille assise avec moi à l'arrière est Lenny. En arrivant devant l'hôtel, Lenny a insisté pour me donner son numéro. Comme on pouvait s'y attendre, je n'ai pas eu le courage de dire non. Je leur ai ensuite souhaité une bonne soirée et me suis éloignée le plus vite possible. Je crois même que jamais je n'avais marché aussi vite.
Une fois dans la chambre d'hôtel, j'ai envoyé un message à mes parents qui n'avaient même pas cherché à me contacter d'ailleurs. Je suis prête à parier qu'ils n'ont pas vu la différence entre avant et après m'avoir perdu. Et c'est avec un pincement au cœur que je me suis enveloppé dans les draps du lit que je partage avec ma sœur. Ce serait mentir que de dire que le visage de Gimon n'a pas hanté mes rêves cette nuit-là.
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Le temps
Ficção AdolescenteNotre vie se déroule rarement comme on l'avait prévu. Le temps nous laisse tourner en rond, encore et encore, jusqu'à ce que l'éclaircie se présente. Gimon doit faire le deuil de sa défunte sœur. Lenny doit se battre contre la volonté de ses parents...