DROWNIN' • Megumi Fushiguro

To see Fushiguro crying big tears

Megumi était enfoncé dans son canapé. Il ferme les yeux. Dans la cuisine, il entend divers bruits. Il n'est pas difficile pour lui de comprendre qu'Itadori s'affaire dans sa cuisine. Ces bruits, il y est habitué. Il se recroqueville sur lui-même. Il a froid. Mais il ne veut pas bouger. Parce que ça fait déjà une vingtaine de minutes que le rose s'agite dans la cuisine et que Fushiguro sait qu'il rappliquera d'une seconde à l'autre avec un plat chaud entre les mains. Alors le noiraud reste seul dans le salon. 

Fushiguro rouvre les yeux et attend bien une dizaine de minutes à fixer le vide jusqu'à ce qu'Itadori entre dans le salon en tenant deux assiettes fumantes. Il a fait du riz et des boulettes de viande — il a donné la recette à Megumi, mais celui-ci n'est pas sûr de savoir les refaire tout de même. Il les pose sur la petite table basse devant le sofa et regarde son ami, un léger sourire aux lèvres. Puis il prend un air indigné sous le regard dubitatif de son ami.

- Fushiguro, tu vas attraper froid ! Je vais te faire une bouillotte, je te ramène un plaid aussi attends, dit-il en quittant la pièce à un pas rapide.

Fushiguro ne le mérite pas. Il ne mérite pas Yuji et sa gentillesse. Il n'a même plus froid. Pourquoi le rosé ne pouvait pas s'empêcher d'être gentil sans cesse ? Pourquoi il ne pouvait pas intégrer l'information que Megumi n'était plus un enfant, que Megumi savait très bien se débrouiller seul ?

Le noiraud essayait de fulminer du mieux qu'il pouvait. Il essayait. Au fond, la seule personne à qui il en voulait c'était lui. Parce que Yuji était trop parfait, trop irréprochable et qu'il n'avait rien fait, qu'il n'avait rien fait du tout. 

L'adolescent ferme les yeux et replie ses jambes contre son torse, les entourant de ses bras. Son nez le picote, son souffle est saccadé, et il essaie du mieux qu'il peut de refouler les larmes qu'il sent monter en masse, mais rien n'y fait. Il pleure. 

Si Fushiguro se souvient bien, la dernière fois qu'il a versé des larmes remonte à 5 années. Pourquoi maintenant ? Pourquoi aujourd'hui ? Il avait supporté plus de 3 ans aux côtés d'Itadori, plus de 3 ans à se sentir inutile, 3 ans à voir vaquer une perfection à ses côtés. Plus de 3 ans à se morfondre sur l'humilité et la générosité de son ami dont le noiraud avait l'impression de se servir. Alors pourquoi aujourd'hui, maintenant, avait-il atteint un point de non-retour, un niveau d'oisiveté extrême et irréparable, était-ce un signe, un pressentiment, comme si le lendemain Yuji ne serait plus là, Yuji l'abandonnerait, s'étant rendu compte que Megumi ne méritait rien, parce qu'il n'était rien. Peut-être que ça serait mieux pour Itadori, en fin de compte. D'être débarassé du poids que représente Megumi. Il n'aurait plus à s'inquiéter pour lui, plus à s'occuper de lui, il pourrait se permettre de laisser Fushiguro couler, tomber, car des causes méritent des sacrifices, ainsi Yuji pourrait avoir une petite-amie, une famille, faire de grandes études dans une grande école dans une grande ville. Il aurait le droit à prestige, gloire, pouvoir, sans avoir à se soucier. Il n'aurait pas à faire un surplus de course pour quelqu'un, il n'aurait pas à cuisiner pour quelqu'un, il n'aurait pas à faire toutes ces petites tâches ingrates sur lesquelles il n'a jamais bronché. Il pourrait juste se libérer, s'en aller, la conscience légère, et Fushiguro ne lui en voudrait peut-être pas.

- Eh, Fushiguro, mange tant que... Fu... Fushiguro ?!

Le rosé accoure vers son ami, les yeux écarquillés, sûrement en train d'essayer de comprendre. Megumi ne veut pas ouvrir les yeux, il ne veut pas voir le regard de Yuji rempli de compassion, parce qu'il ne mérite pas cette compassion. Fushiguro tremble, il a froid, ses membres s'agitent dans le rythme de ses hoquets silencieux. Ses bras se serrent autour de ses jambes pliées, ses doigts s'emmêlent entre eux, et il sent les bras chauds de son meilleur ami l'entourer. 

Non.

Yuji doit-

Il doit arrêter.

Il doit arrêter. Il ne peut pas continuer à supporter Megumi là où le noiraud sait qu'il ne sera pas là pour l'aider. Parce qu'il n'a pas la science infuse, il n'a aucune idée de comment rassurer quelqu'un, parce qu'il ne sait pas remédier à son propre malheur.

- Eh, Fushiguro, qu'est-ce qui se passe ?

Le concerné s'essuie sauvagement les paupières, il ne veut pas répondre à cette question. Il ne veut pas confier à Itadori à quel point il a l'impression d'être une horrible personne, parce qu'il veut que Yuji reste encore un petit peu, le temps d'une soirée, le temps d'un soupir. Le temps que Megumi avale que leur amitié n'est pas éternelle et qu'il est voué à vivre des situations précairement belles.