Un, deux, trois...
Megumi compte inlassablement les gouttes qui s'écrasent au sol. Il pleut dehors. Comme toujours. La pluie ne semble pas vouloir s'arrêter. Voilà trois jours qu'elle dure. Les nuages recouvrent le ciel comme du coton imbibé d'encre. Le jour était là, il était là derrière, seulement il se cachait. Megumi a une soudaine envie de hurler. Il fait gris dehors, il fait gris dans sa poitrine. Il fait gris partout. Monochrome, le monde est monochrome. Rien ne change, rien ne bouge, tout demeure sans but. Rien ne change ni dans le froid, ni dans la nuit, l'oisiveté prend les volants. On se laisse aller parce qu'on ne cherche pas à changer quoi que ce soit, parce qu'impacter la société est le défi irréalisable, le tabou enfoui dans les entrailles de l'humanité.
Megumi avait envie de hurler parce que, là, dans le bus, il dérangerait tous les passagers. Il veut du changement, il en a cruellement besoin, parce que personne ne bouge jamais d'un poil pour bousculer le destin, parce que rien d'inhabituel se produit, aucun son ne sort de la routine et aucun geste ne vient entraver le quotidien. Parce que voir un adolescent se lever de sa place assise pour se mettre à hurler au beau milieu d'un bus, ce n'est pas habituel et personne n'a noté ça dans ses projets. Peut-être bien que parmi tous ces abrutis, il y en aura un qui comprendra l'origine du geste, l'idéologie de Fushiguro et peut-être qu'il y aura un courant qui va le traverser, qu'il va se lever, soutenir sans paresse le regard gris de Megumi et crier à son tour, comme en écho au hurlement du cœur de Megumi. Fushiguro le souhaite du plus profond de lui. Il souhaite bousculer la réalité, la renverser. Il veut jeter sur le sol ces règles implicites de « savoir-vivre » - qui est en réalité une simple image pour dissimuler le fait que ces règles devraient se prénommer " savoir se taire ", terme trop peu aguicheur. Il a envie de briser ces idées plastiques propagées à travers les rangs des humains. Les humains qui se contentent d'ailleurs de les suivre en silence voire de les aduler. Ces sourires cassables distribuées par les soins de l'état qui ne cesse d'alimenter ce qu'il croit être sa propriété avec de la stupidité maladive.
Que se passerait-il si, un jour, la population commençait à disparaître ? Une question que Megumi n'avait cessé de se poser cette question en boucle à peine ses sept ans arrivés. Avec aucun père pour y répondre, il s'était toujours contenté de garder ses yeux fixés sur ses pieds et d'y chercher une réponse jusqu'à ce que son esprit trouve une forme de repos à cet enchaînements de questions liées les unes aux autres. Cependant, peu importe le nombre de fois où il s'est trituré le cerveau à la recherche d'une réponse, il n'a eu pour réponse que le néant. Il n'était pas rare qu'il repense à la question irrémédiable, dans ce genre d'endroits qui ne valent pas la peine d'être profité - ceux-ci se montraient d'ailleurs plutôt nombreux. Souvent, il essayait de trancher d'une manière simple et qui lui était caractéristique. Inutile de préciser qu'à chaque fois qu'il prend cette décision, il échoue, de façon d'ailleurs non lamentable. Car, voyez-vous, l'idée de la mort et de la disparition se confronte à son image de la société : pas que ça ne lui rajoute des couleurs, au contraire, ça ne lui rajoute que des questions d'une complexité qui monte souvent d'un grade supérieur. Mais, il y a une chose, une idée ou plutôt un fait dont Megumi ne peut ni se séparer ni renier. C'est que, qu'importe le nombre de fois où cette question de disparition lui a torturé l'esprit, c'était toujours ce même problème qui s'imposait à lui : le fait qu'une vie ne peut être insignifiante. Mais là est la prise de tête : Fushiguro a cette vision de la société - de laquelle il ne veut se séparer - dans laquelle la plupart des humains suivent la même routine et ne sortent en aucun cas de l'ordinaire. Mais, justement, si un humain disparaît, il y a forcément des proches que ça va attrister. Cela provoquera des changements, certes qui restent mineures et peuvent être oubliés de la société mais ils restent présents, ils persistent et plongent des personnes dans une routine plus lente et plus déconstituée qu'elle ne l'est déjà. Voilà une question à laquelle il n'a jamais eu de réponse.
Maintenant qu'il y pense... Qu'est-ce que le mal et le bien représentent ? Quelle question stupide et puérile, me diriez-vous, mais ce n'est une question à ignorer. Car, il est vrai, bousculer la société en commettant une chose d'ignoble et d'impardonnable est-il si mauvais si ce simple geste permet de secouer la société ? Si ça réveille les humains, si ça fait débuter l'effondrement intérieur et progressif de la société, si ça permet de tout bousculer, de sortir les plus perspicaces de leur torpeur, si ça permet de faire se manifester les plus vivants, si ça permet de faire combattre les plus courageux, est-ce si mal d'être un monstre ? Si ça nous permet de tout...
- Fushiguro.
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DROWNIN' • Megumi Fushiguro
أدب الهواةMegumi est fatigué. Fatigué de son esprit qui fuse sans interruptions, son intelligence grandissante et large, sa sensibilité à l'inutilité et sa constante raison qui le noit sous les préjugés. Ce n'est pas vraiment de la dépression, parce que c'est...