Un virage mal négocié. Des tonneaux dans la neige. Le lac brisé.
Et l'eau, l'eau glaciale qui transperce, qui emprisonne, qui anesthésie, qui endort.J'ignore comment j'ai survécu cette nuit-là.
Je me souviens juste des cris de ma mère, des mains de l'homme qui m'a sorti de l'eau, des lumières vacillantes de l'ambulance. Et du bruit. Le bruit constant autour de moi, des heures durant.
Chaque année, le 24 décembre, ces souvenirs me reviennent et je me rappelle de ma mère me prenant par la main, les yeux rouges d'avoir pleuré, la voix rauque d'avoir crié.
Nous sommes partis, elle et moi. Moi et elle.
Elle a refusé que mon père nous accompagne.
Et lui, honteux d'avoir failli nous tuer tous les trois, il est resté en retrait, n'a jamais insisté.Il n'avait pas bu ce soir-là, était juste fatigué.
Mais ma mère a été intraitable.
À ses yeux, cet homme qu'elle avait jadis aimé, avait tenté d'assassiner son petit garçon.
Elle ne lui a jamais pardonné. Et je ne l'ai plus jamais revu.L'endroit où on s'est installé est loin de tout. J'ai souvent eu envie de le quitter, de retourner en ville, voir mon père, mais ma mère en ferait une syncope.
Elle est... un peu invasive depuis cette nuit. Cette nuit qui remonte à dix ans, aujourd'hui.
Et j'ai dû batailler longuement pour qu'elle me laisse m'installer seul dans un petit appartement à deux pas de l'université pourrie du coin.Je soupire en resserrant mon étreinte autour des sacs en papier de l'épicerie. Je n'aurais peut-être pas dû acheter autant de provisions en une fois, mais demain, le magasin sera fermé, et cette semaine, il faut que je me concentre sur mes révisions.
Cette université n'est pas terrible, mais je ne suis pas non plus une flèche. Elle me convient plutôt bien, en réalité. J'aurais probablement été largué dès le premier trimestre si j'en avais choisi une plus cotée, plus chère ou plus éloignée de ce bled paumé. Mais au moins, je n'habiterais plus ici, dans ce quartier que je déteste, où tout est gris.
J'aurais aimé être intelligent. Ça aurait pu être ma porte de sortie.
Sur ma droite, j'entends les pas d'une personne qui se dépêche. Seigneur, faites qu'elle ne m'adresse pas la parole. Je n'ai pas envie de faire semblant d'être sympathique ou enjoué. Pas aujourd'hui. Laissez-moi ressasser une fois encore les souvenirs de ce père, trop lâche pour retenir sa famille. Laissez-moi me lamenter sur la vie que j'aurais pu mener dans la grande ville, celle qui restera un fantasme onirique.
Une main qui se referme sur mon biceps et mon corps qui réagit sans que je ne lui en aie donné l'ordre.
En un mouvement, je me dégage et recule de deux pas. Je déteste cette vie, je déteste ce type que je ne connais pas.— Marcus ?
Excuse-toi, au moins, connard. Je ne te reconnais pas, es-tu vraiment dans ma classe ? Mais comment pourrais-tu connaître mon nom, autrement ?
— Quoi ? Qu'est-ce tu veux ?
— Marcus... C'est vraiment toi ?
Qu'est-ce que je peux répondre ? Bien sûr que c'est moi, comme si j'avais jamais été quelqu'un d'autre. Mais quelle importance ça peut avoir ? C'est pas comme si j'intéressais quelqu'un dans ce trou. À part ma mère.
Pourtant, je regarde à nouveau l'inconnu. Je ne le connais pas, j'en suis quasi-sûr, mais son visage ne m'est pas entièrement étranger pour autant.
Ses boucles châtain, ses yeux verts, ce nez aquilin et ses oreilles décollées... OK, c'est vrai, il me rappelle quelqu'un, mais...
— Matthew ?
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Mécomptes de Noël - Le calendrier de l'Avent de l'Absurde
Short StoryUn calendrier de l'Avent écrit au jour le jour, en partie avec vos idées. Où l'absurde côtoie le burlesque et où la folie se substitue à l'esprit de Noël, pour donner naissance à des nouvelles tantôt morbides, tantôt loufoques où la réalité n'est p...